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03/10/2014

Il est rare que les libraires soient fort empressés quand il s'agit d'un procédé honnête ; tout homme a plus ou moins les vices de sa profession

... L'éditeur du livre de Valérie Trierweiler confirme ce jugement voltairien , sans contredit .

 

 

« A Élie Bertrand

premier pasteur de l’Église française

à Berne

4 septembre 1759

Je vais écrire, mon cher philosophe, pour qu'on vous rende vos articles de l’Histoire naturelle . Il est rare que les libraires soient fort empressés quand il s'agit d'un procédé honnête ; tout homme a plus ou moins les vices de sa profession ; La Mettrie 1, dont vous me parlez, n'avait point ceux de la sienne, car en vérité il n'était point du tout médecin ; il cherchait seulement à être athée ; c'était un fou, et sa profession était d'être fou ; mais ceux qui vous ont dit qu'il était mort repentant sont de la profession des menteurs ; j'ai été témoin du contraire ; pour Maupertuis vous pouvez compter que pour être mort entre deux capucins, il n'en croyait pas davantage à saint François ; il n'était pas moins extravagant que La Mettrie, il est mort de la rage de sentir qu'il n'avait pas dans l'Europe toute la considération qu'il ambitionnait ; le pays de Saint Malo 2 est sujet à produire des cervelles ardentes dans le goût de celles des Anglais . Ma folie à moi est d'être laboureur et architecte, de semer au semoir des terres ingrates, et de me ruiner à bâtir un petit palais dans un désert . Au reste, mon cher ami, il ne faut penser ni comme La Mettrie ni comme Maupertuis, mais comme Socrate, Platon, Cicéron, Epictète, Marc Aurèle ; les barbares raisonneurs qui sont venus depuis sont la honte du genre humain, et leurs sottises font mal au cœur .

Heureux qui est le maître chez soi, et qui pense librement . Vale .

V. »

2 A Saint Malo sont nés Jacques Cartier, Duguay-Trouin, Surcouf, La Mettrie et Chateaubriand .

 

Le roi de Prusse peut perdre son royaume, mais il ne perdra pas sa gloire ; nous sommes dans un cas tout contraire

... Bon nombre de mes concitoyens ont surement l'impression de travailler pour le roi de Prusse !

 

 

 

« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

3 septembre [1759]

J'ai si mal aux yeux, madame, que je ne peux avoir l'honneur de vous écrire de ma main ; je suis aussi enchanté de la conduite de M. le prince de Brunsvik envers monsieur votre fils que je suis affligé de l'évènement fatal qui rend M. le prince de Brunsvik si grand et les Français si petits 1. Je me flatte, madame, que M. de Lutzelbourg est actuellement auprès de vous . Si j'étais à portée d'écrire au vainqueur, si certaines circonstances ne m'en empêchaient, je le féliciterais assurément non pas sur sa victoire, mais sur la manière dont il en use . Il me semble qu'on ne doit que des sentiments de condoléance au roi de Prusse , je le crois plus étonné d'être battu par les Russes que M. de Contades ne l'est d'être battu par les Hanovriens . Le roi de Prusse peut perdre son royaume, mais il ne perdra pas sa gloire ; nous sommes dans un cas tout contraire . Ne m'oubliez pas, madame, auprès de monsieur votre fils, ni auprès de Mme de Broumat . Si je ne bâtissais pas un château qui me ruine, je serais actuellement à l'île Jard .

Conservez votre santé . Il n'y a plus que cela de bon .

V. »

1 Bataille de Minden, défaite française .

 

attendons encore quelques mois, et j'espère faire pour vous quelque chose dont vous serez content

... Promettent chacun de nos gouvernants .

 

 

 

« A Cosimo Alessandro Collini

gouverneur

de M. le comte de Sauer

à l'hôtel de Neuviller

à Strasbourg

3è septembre 1759

Un grand mal aux yeux m'a empêché de répondre plus tôt à votre dernière lettre, mon cher Collini ; il sera fort difficile que je puisse aller à la Cour palatine cette année, mais attendons encore quelques mois, et j'espère faire pour vous quelque chose dont vous serez content .

V. »

 

Je n'ai osé mêler ma voix au bruit des canons qui ont grondé

...

 

 

 

« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

Aux Délices près de Genève

1er septembre [1759]

Madame, il y a longtemps que Votre Altesse Sérénissime n'a entendu parler de moi . Je n'ai osé mêler ma voix au bruit des canons qui ont grondé des bords du Mein jusqu'au rivage de l'Oder . Languissant, malade, retiré dans mes ermitages j'ai été en danger d'être privé absolument de la vue, et d'être réduit à faire des souhaits pour votre bonheur sans avoir la consolation d'écrire à Votre Altesse Sérénissime.

J'ai béni la providence de ce qu'elle a au moins écarté cette année la guerre de vos États . Il y a un mois que je reçus une grande lettre du roi de Prusse qui m'annonçait sa résolution de combattre, mais qui ne me préparait point à ses malheurs . J'ignore où il est, ce qu'il devient, et si la communication est encore libre . Je gémis sur tous ces évènements qui ne font que prolonger les malheurs du genre humain . Puissent vos États madame être toujours préservés de ces horribles fléaux comme ils l'ont été cette année et comme l'est le petit coin de terre que j'habite, dans lequel on n'a d'autre malheur que d'être hors de portée de vous faire sa cour . Voilà mon fléau madame et je n'ai point encore appris à le supporter avec patience . J'ai perdu le premier des biens, la liberté dont le roi de Prusse m'a fait connaître tout le prix n'est que le second . Je ne m'attendais pas lorsqu'il me fit quitter ma patrie, qu'un jour le roi de France me ferait plus de bien que lui . Sa Majesté Très Chrétienne a déclaré libres et indépendantes les terres que j'ai en France auprès de Genève, et j'ai été obligé de renoncer pour jamais aux terres du roi de Prusse . Cependant madame je ne renonce point à lui . Je prends même la liberté de supplier Votre Altesse Sérénissime de vouloir bien lui faire parvenir cette lettre que j'ose recommander instamment à vos bontés et à votre protection 1 . Je me flatte qu'elle veut bien me pardonner cette démarche, qu'elle me conserve les sentiments dont elle m'a toujours honoré, et qu'elle agréée ainsi que toute son auguste famille mon profond respect et mon attachement . »

1 Cette lettre, importante pour l'histoire des relations entre V* et Frédéric, et même pour l’histoire de France, ne nous est pas parvenue . son contenu peut cependant être inféré de certains documents : d'une part la réponse de Frédéric, d'autre part un manuscrit endossé de la main de V* sous la forme de deux mentions, « instructions de M. l'ambassadeur de Chauvelin sur la lettre écrite au R. de P. p. ord. du ministère » et «  instructions de M. l'ambassadeur Chauvelin » qui , selon les éditeurs de Kehl étaient le commentaire de la lettre de V* à laquelle Frédéric répondit le 22 septembre 1759 (voir ci-dessous ). D'autres éditeurs placent la lettre en 1758 . Bestermann fait une entrée à la date de la présente lettre à la duchesse : « La lettre est très bien, le fond et le ton en sont à merveille, je n'y ferai que deux observations . 1° Je ne sais si je lui présenterais aussi décisivement l'idée de restitution, je crois qu'elle lui sera toujours amère, et je ne sais si elle ne blesserait pas sa gloire autant que son intérêt . Peut-être faudrait-il adoucir ce passage . 2° je crois qu'il conviendrait de lui expliquer davantage le fond d'un système de pacification fondé sur les idées propres à lui qu'il développe dans sa dernière lettre . En conséquence je lui dirais ce me semble : « Vous ne voulez pas faire la paix sans les Anglais, vous avez raison, votre honneur y est intéressé, mais pourquoi ne feriez-vous pas faire la paix aux Anglais en mêle temps qu'à vous ? N'avez-vous pas acquis assez de droits sur leur estime, assez d'ascendant sur eux pour qu'ils sacrifient quelques -uns de leurs avantages à l'honneur de vous assurer las vôtres ? Alors les Français en compensation d'un tel bienfait ne seront-ils pas excités et autorisés à déterminer leurs alliés à des sacrifices équivalents à ceux que les Anglais auront fait pour eux en votre faveur ? Alors ne serez-vous pas l'auteur et le mobile, de cette condescendance réciproque qui ramènera tout à un équilibre désirable et utile à tout l'univers ? En un mot si vous déterminez les Anglais à ne pas envahir l'empire des mers, la propriété de toutes les colonies, et le commerce universel, doutez-vous que les Français n'engagent vos ennemis à renoncer aux prétentions qui vous seraient nuisibles ? » Il me semble que cette tirade maniée par le génie de M. de V., embellie des grâces nerveuses de son style, et ajoutée aux notions qu'il a déjà prises du R. de P., et des objets les plus propres à l'émouvoir , peut mettre dans tout son jour l'idée d'un plan qu'il serait très heureux que ce prince saisît, adoptât, et conduisît à sa maturité . »

Voici d'autre part le texte de la réponse de Frédéric II auquel se réfèreront de nombreuses lettres ultérieures de V* .

« 22 septembre [1759]

La duchesse de Saxe-Gotha m'envoie votre lettre etc. Comme je viens d'être étrangement balloté par la fortune, les correspondances ont toutes été interrompues . Je n'ai point reçu votre paquet du 29 ; c'est même avec bien de la peine que je fais passer cette lettre, si elle est assez heureuse de passer .

Ma position n'est pas aussi désespérée que mes ennemis le débitent . Je finirai encore bien ma campagne , je n'ai pas le courage abattu . Mais je vois qu'il s'agit de paix .tout ce que je puis vous dire de positif sur cet article c'est que j'ai de l'honneur pour dix, et que quelque malheur qui m'arrive, je me sens incapable de faire une action qui blesse le moins du monde ce point si sensible et si délicat pour un homme qui pense en preux chevalier, si peu considéré de ces infâmes politiques qui pensent comme des marchands .

Je ne sais rien de ce que vous avez voulu me faire savoir, mais pour faire la paix, voilà deux conditions dont je ne me départirai jamais , 1° de la faire conjointement avec mes fidèles alliés ; 2° de la faire honorable et glorieuse . Voyez-vous ! Il ne me reste que l'honneur ; je le conserverai au prix de mon sang .

Si on veut la paix qu'on ne me propose rien qui répugne à la délicatesse de mes sentiments . Je suis dans les convulsions des opérations militaires ; je suis comme les joueurs qui sont dans le malheur, et qui s'opiniâtrent contre leur mauvaise fortune . Je l'ai forcée de revenir à moi plus d'une fois, comme une maitresse volage . J'ai à faire à de si sottes gens qu'il faut nécessairement qu'à la fin j'aie l'avantage sur eux . Mais qu'il arrive tout ce qu'il plaira à sa sacrée majesté le hasard, je ne m'en embarrasse pas . J'ai jusqu'ici la conscience nette des malheurs qui me sont arrivés . La bataille de Minden, celle de Cadix, et la perte du Canada sont des arguments capables de rendre la raison aux Français auxquels l'ellébore autrichien l'avait brouillée . Je ne demande pas mieux que la paix, mais je la veux non flétrissante . Après avoir combattu avec succès contre toute l'Europe, il serait bien honteux de perdre, par un trait de plume, ce que j'ai maintenu par l'épée .

Voilà ma façon de penser . Vous ne la trouverez pas à l'eau-rose . Mais Henri IV, mes ennemis même que vous citez, ne l'ont pas été plus que moi . Si j'étais né particulier je céderais tout pour l'amour de la paix, mais il faut prendre l'esprit de son état . Voilà tout ce que je peux vous dire jusqu'à présent . Dans trois ou quatre semaines la correspondance sera plus libre , etc.

F. »