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25/10/2014

La vie est bien courte, et tout ouvrage est bien long

... Et un quinquennat plus que court, mais ce n'est pas une raison pour ne rien entreprendre .

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« A Ivan Ivanovitch SCHOUVALOW
Au château de Tournay par Genève 6 octobre 1759
Monsieur, je vous avais déjà fait compliment sur l'heureux succès de vos armes, lorsque j'ai reçu la lettre dont Votre Excellence m'a honoré 1, avec la relation de la bataille, que M. de Soltikof a bien voulu me communiquer. Vos bontés augmentent tous les jours l'intérêt que je prends à la gloire de l'impératrice et à l'empire de Russie. Le terme d'honneur doit être bien certainement à la mode chez vous, quoi qu'en dise un certain homme 2 qui a mis son honneur à faire bien du mal, et à en dire beaucoup de votre auguste impératrice. Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai pris part à la gloire de votre nation ; tous les événements ont justifié ma manière de penser. Je vois, avec la plus sensible joie, que la digne fille de Pierre le Grand perfectionne tout ce que son père a commencé. Le bruit a couru dans nos Alpes que sa santé avait été dérangée ; j'en ai ressenti de bien vives alarmes. Nous faisons mille vœux, dans mes retraites, pour la durée et la prospérité de son règne.
Le premier tome de l'Histoire de Pierre le Grand 3 serait déjà parvenu à Votre Excellence si les personnes que j'emploie étaient aussi diligentes que je l'ai été. La vie est bien courte, et tout ouvrage est bien long. Je consacrerai ce qui me reste de vie à travailler au second volume, aussitôt que j'aurai les matériaux nécessaires 4. Il n'y a point d'occupation qui me soit plus précieuse, et, si je suis assez heureux pour seconder vos nobles intentions, je n'aurai jamais si bien employé mon temps. Mais je regretterai toujours de n'avoir pu voir la ville que Pierre le Grand a fondée, et vous, monsieur, qui faites fleurir les arts et les vertus dans le plus grand empire de la terre.
Je serai toute ma vie, avec l'attachement le plus respectueux
et le plus sincère,

monsieur

de Votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1Du 27 août 1759 .

2Frédéric II . Voir ce que rapportait Schouvalov le 14 août 1759, lettre du 18 septembre 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/10/ce-qui-n-est-qu-un-eloge-ne-sert-souvent-qu-a-faire-valoir-l-5465527.html

3 Commencé à imprimer dès 1759, il ne sera publié qu'en 1760 .

4 V* se plaignait déjà dans ses précédentes lettres ( 11 septembre 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/07/en-disant-la-verite-on-peut-toujours-la-presenter-sous-un-jo-5463148.html

et 18 septembre 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/10/ce-qui-n-est-qu-un-eloge-ne-sert-souvent-qu-a-faire-valoir-l-5465527.html ) de ne rien recevoir de Schouvalov . Celui-ci répondra le 27 octobre 1759 : « Je vois avec bien du regret […] la confirmation de ce que l'on m'avait déjà mandé de Königsberg que l'estafette chargée d'un paquet pour vous a été perdue […] Je viens de tirer une copie de tous ces matériaux et des réponses aux questions que vous proposez . »

 

Nous avons besoin de succès pour parvenir à une paix nécessaire

... Pas uniquement le succès des armes, bien évidemment , la destruction d'un adversaire/ennemi n'étant pas la garantie d'une paix tant soit peu durable . Tout comme un train peut en cacher un autre, un malfaisant à détruire peut en cacher un autre aussi mauvais, sinon pire , les exemples des années récentes en pays arabes ne manquent pas de le démontrer , hélas .

 

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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.
6 octobre [1759].
Quand on a mal aux yeux, madame, on n'écrit pas toujours de sa main ; si je deviens aveugle, je serai bien fâché. Ce n'était pas la peine de me placer dans le plus bel aspect de l'univers.
Eh bien! madame, êtes-vous comprise dans tous les impôts? vos fiefs d'Alsace sont-ils sujets à cette grêle ? n'ai-je pas bien fait de choisir des terres libres, exemptes de ces tristes influences ?
Avez-vous auprès de vous monsieur votre fils ? N'a-t-on pas au moins confirmé sa pension, qu'il a si bien méritée par sa valeur et par sa conduite dans cette malheureuse bataille 1 ? L'armée n'a-t-elle pas repris un peu de vigueur? Nous avons besoin de succès pour parvenir à une paix nécessaire. Je suis toujours étonné que le roi de Prusse se soutienne ; mais vous m'avouerez qu'il est dans un état pire que le nôtre. Chassé de Dresde et de la moitié au moins de ses États, entouré d'ennemis, battu par les Russes, et ne pouvant remplir son coffre-fort épuisé, il faudra probablement qu'il vienne faire des vers avec moi aux Délices, ou qu'il se retire en Angleterre, à moins que, par un nouveau miracle, il ne s'avise de battre toutes les armées qui l'environnent ; mais il paraît qu'on veut le miner, et non le combattre. En ce cas, le renard sera pris ; mais nous payons tous les frais de cette grande chasse. Je ne sais aucune nouvelle de Paris ni de Versailles, je ne connais presque plus personne dans ce pays-là. J'oublie, et je suis oublié. Le mot d'oubli, madame, n'est pas fait pour vous. Je vous serai attaché jusqu'au dernier moment de ma vie. La Silhouette, qui rogne les pensions, en a pris pour lui une assez forte 2. Bravo.

V. »

1 Celle de Minden, du 1er août précédent. Voir lettre du 14 août 1759 à la comtesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/09/11/cela-ne-peut-ni-se-comprendre-ni-etre-assez-deplore-une-faut-5445195.html

2 Il s'était fait donner une pension viagère de 60 000 francs, dont 20,000 réversibles sur la tête de sa femme. La marquise du Deffand venait d'écrire à V* le 1er octobre 1759 : «[...]  pour rassurer le public on lui démontre combien on est content des talents du C.G. . On vient de lui donner soixante mille livres de rentes viagères dont il y en a vingt sur la tête de sa femme . »

Le féminin de l'article devant Silhouette, atteste, si la lecture du manuscrit est bonne, que le mot commence à s'employer figurément pour désigner les figures dont Silhouette avait orné son château et qui devaient porter son nom .

 

P.S. - Pour vous, Mam'zelle Wagnière, Voltaire a écrit ce que je pense profondément : "Le mot d'oubli, madame, n'est pas fait pour vous. Je vous serai attaché jusqu'au dernier moment de ma vie."