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09/05/2015

enfin je suis devenu un grand seigneur, c'est-à-dire que j'ai des dettes et point d'argent, avec un gros revenu

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 11 mai [1760].

Acte 5, scène seconde

MÉDIME , armée; soldats dans l'enfoncement.
(à son père.) (à sa suite.)
Non, n'allez pas plus loin. — Frappez; et vous, soldats,
Laissez périr Médime, et ne la vengez pas.
Vous n'avez que trop bien secondé mon audace;
J'ai mérité la mort, méritez votre grâce ;
Sortez, dis-je.


MOHADAR 1.

Ah, cruelle! est-ce toi que je vois ?

MÉDIME , en jetant ses armes.

Pour la dernière fois, seigneur, écoutez-moi.
….....................................................................

 

.....................................................................
Je baise cette main dont il faut que j'expire;
Mais, pour prix de mon sang, pardonnez à Ramire :
C'est assez vous venger, et ce sang à vos yeux,
Ce sang, qui fut le vôtre, est assez précieux.


Peut-être ces deux derniers vers, prononcés avec une grandeur mêlée de tendresse, pourront faire quelque effet.
N. B. que dans la dernière scène Prohador dit :

J'ai trop vu, je l'avoue, en ce combat funeste.

Il y avait :
J'ai trop vu, malgré moi, dans ce combat funeste 2,


et cela faisait deux malgré moi en deux vers.

Voilà, mon divin ange, de quelle manière j'ai obéi sur-le- champ à votre lettre ; et, si vous n'êtes pas content, je trouverai peut être quelque chose de mieux.
Je sacrifie mes craintes et mes remords aux espérances et à l'absolution que vous me donnez. Allons donc, puisque vous l'ordonnez. C'est déjà quelque chose que Mlle Gaussin ne joue pas Énide; mais gare que Mlle Clairon ne donne de ses tons à Mlle Hus, et qu'au lieu du contraste intéressant de deux caractères opposés on ne voie qu'une écolière répétant sa leçon devant sa maîtresse ! En ce cas, tout serait perdu. Mlle Clairon en sait-elle assez pour enseigner un jeu différent du sien ?
Je suis mortifié, en qualité de Français, d'homme, d'être pensant, de l'affront public qu'on vient de faire aux mœurs, en permettant qu'on dise sur le théâtre des injures atroces à des gens de bien persécutés 3. A-t-on lâché un plat Aristophane contre les Socrates, pour accoutumer le public à leur voir boire la ciguë sans les plaindre? Est-il possible que Mme de La Marck 4 ait protégé si vivement une si infâme entreprise ?
Vous me faites un plaisir sensible, mon cher ange, en donnant le produit de l'impression à Lekain. Il faudra qu'il veille à empêcher les éditions furtives. Vous pouvez promettre le profit de l'édition de Tancrède à Mlle Clairon ; ainsi il n'y aura point de jalousie, et Lekain pourra hautement jouir de ce petit bénéfice, supposé que la pièce réussisse. Vous saurez que Tancrède est corrigé, comme vous et Mme Scaliger l'avez ordonné.
Mais je vous demande une grâce à genoux. Il y a un M. Jacques à Paris. Vous ne connaissez point ce nom-là ; c'est un homme de lettres qui a du talent, et qui est sans pain. Il voulait venir chez moi ; j'ai pris malheureusement à sa place une espèce de géomètre 5 qui me fait des méridiennes, des cadrans, qui me lève des plans; et je n'ai rien pu faire pour M. Jacques. Je lui destinais cinq cents livres sur la part d'auteur que je donne aux comédiens, et deux cents sur l'édition que je donne à Lekain (supposé toujours le succès dont mes anges me flattent) ; au nom de Dieu, réservez 500 livres pour Jacques. Il serait même bon qu'il présidât à l'édition, et qu'il fît la préface.
Vous me direz : Que ne donnez-vous à Jacques 500 livres de votre bourse? Je vous répondrai que je suis ruiné ; que j'ai eu la sottise de bâtir et de planter en trois endroits différents ; que j'ai chez moi trois personnes à qui j'ai l'insolence de faire une pension ; que Mme Denis, après sa réception à Francfort, a droit de ne se rien refuser à la campagne; que la proximité d'une grande ville et le concours des étrangers exigent une grande dépense ; qu'enfin je suis devenu un grand seigneur, c'est-à-dire que j'ai des dettes et point d'argent, avec un gros revenu. Voilà mon cas; il ne faut rien cacher à son ange gardien.
Vous n'avez rien répondu sur la juste haine que je porte à la ville de Paris ; est-ce que je n'ai pas raison ? Mais j'ai bien plus raison de vous aimer jusqu'à mon dernier moment, avec la plus tendre reconnaissance. Madame Scaliger permet-elle qu'on lui en dise autant?
J'ai oublié l'adresse de Jacques. Il demeurait à Paris, rue Saint-Jacques, près la fontaine Saint-Séverin, chez... je ne m'en souviens plus. C'est un M. Audelet ou Audet, homme d'affaires...
On pourrait donner des billets à Jacques.

V. »

1 Le personnage appelé Mohadar dans la pièce, quand elle était intitulée Fanime ou Médime, est nommé Benassar dans Zulime. Les vers rapportés ici sont dans Zulime, acte V, scène II

2 Zulime, acte V, scène III,

3 D'Alembert, Diderot, Duclos, Helvétius, etc., nommés dans la lettre du 9 mai 1760 à Lacombe : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/05/06/j-ai-peine-a-croire-que-notre-nation-legere-soit-devenue-ass-5617399.html

4 Marie-Anne -Françoise de Noailles, comtesse de La Mark ; sur Les Philosophes, voir lettre du 25 avril 1760 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/23/est-il-vrai-que-de-cet-ouvrage-immense-et-de-douze-ans-de-travaux-il-revien.html

5 Sans doute Siméon Valette.