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29/06/2016

Il me semble, mademoiselle, que je vous dois des remerciements, toutes les années, d’avoir bien voulu venir dans ma petite retraite

... Mam'zelle Wagnière, et je suis au regret d'avoir à faire des travaux " de mise aux normes" comme vous dites au XXIè siècle, lesquels travaux vont officiellement être présentés ce 4 juillet 2016 à 16h , enfin ! Ce qui ne m'empêchera pas de vous laisser à loisir cheminer dans le parc, et l'allée de Charmilles (qui orne votre blog, preuve s'il en était besoin de votre attachement)  , vous partagez mon amour pour ce lieu .

 Voir : http://www.chateau-ferney-voltaire.fr/

Voilé et chapeauté comme une jeune mariée !

La restauration va durer plus longtemps que la construction originelle .

 

 

« A Marie Fels

Au château de Ferney par Genève

29 juillet 1761

Il me semble, mademoiselle, que je vous dois des remerciements, toutes les années, d’avoir bien voulu venir dans ma petite retraite 1. Mais il faut que je vous remercie d’une autre sorte de plaisir que vous m’avez fait, et que vous ne savez peut-être pas.

Vous me dites, aux Délices, qu’il y avait à Paris un homme plein d’esprit et de générosité, dont le plus grand plaisir était celui d’obliger, et que c’était M. de Laborde 2. Je m’en suis souvenu, quand il a été question d’imprimer un Corneille avec des commentaires, et d’en faire une édition magnifique, au profit de la famille infortunée de ce grand homme. J’ai répété mot pour mot à M. de Laborde, très indiscrètement, tout ce que vous m’aviez dit de lui. Je vous assure qu’il n’a pas démenti vos éloges : il favorise cette entreprise avec tout le zèle d’un excellent citoyen, et il m’a écrit une lettre qui fait bien voir qu’il a autant d’esprit que de noblesse d’âme. Je suis si pénétré de tout ce qu’il daigne faire, que je ne puis m’en taire avec vous. Vous qui avez des talents si supérieurs, mademoiselle, vous sentez bien mieux que personne, combien il sera beau à notre nation de protéger les talents du grand Corneille cent ans après sa mort, et vous devez être flattée que ce soit votre ami, M. de Laborde, qui ait fait les premières démarches. Pardonnez donc à mon enthousiasme, et comptez que nous en avons toujours beaucoup pour vous au pied des Alpes, madame Denis et moi. Recevez, avec votre bonté ordinaire, les sentiments respectueux du vieux

Voltaire. »

2 Banquier à la cour ; la lettre de Laborde du 4 juillet 1761 est conservée ; c'est lui qui annonce la souscription de deux cents exemplaires ; il ajoute qu'il a fait souscrire le duc de Choiseul et la duchesse de Gramont pour respectivement 20 et 3 exemplaires .

 

Quand il devrait un peu m’en coûter, je ne reculerai pas.

... Et c'est bien là une décision/intention/proposition qui fait long feu, ou plutôt un flop de première grandeur . 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

28è juillet [1761]1

Les divins anges sauront que je reçus avant-hier leur dernière lettre, datée de je ne sais plus quand. J’étais aux Délices ; je les ai cédées à M. le duc de Villars, qui s’y établit avec tout son train J’ai laissé la lettre de mes anges aux Délices ; mais je me souviens des principaux articles. Il était question vraiment de quelques vers, qu’ils aiment mieux comme ils étaient autrefois dans l’ancienne Zulime. Mes anges ont raison, repentir, innocence, vaut mieux que repentir, arrogance . Je ne me souviens pas bien précisément des autres, mais j'ai une idée confuse, que mes anges m'ont persuadé .

Je me jette à leurs pieds pour que Zulime se tue ; car il ne faut pas que tragédie finisse comme comédie, et autant qu’on peut, il faut laisser le poignard dans le cœur des assistants. Si vous goûtez cette nouvelle façon de se tuer que je vous envoie, vous me ferez grand plaisir. Ne me dites pas que ce pauvre bonhomme de père sera affligé . Il est juste que sa fille coupable passe le pas, et que le bonhomme de père, qui l’a fort mal élevée, soit un peu affligé pour sa peine.

Venons à un plus grand objet, à Pierre Corneille. On ne pourra rien faire, rien commencer, rien même projeter, si l’on n’a pas d’abord les noms de ceux qui veulent bien souscrire. Il y a une petite anicroche. Les Œuvres du théâtre de Corneille contiendront cinq volumes in-4°. Ces cinq volumes, avec des estampes, reviendraient à dix louis d’or et les souscriptions ne seront que de deux : on ne pourra donc point donner ces inutiles estampes, et on se contentera des remarques utiles. L’ouvrage est moitié trop bon marché, j’en conviens ; mais avec les bontés du roi, et les secours des premiers de la nation, les Cramer pourront être honorablement payés de leurs peines, et il y aura encore assez d’avantages pour M. et Mlle Corneille. Quand il devrait un peu m’en coûter, je ne reculerai pas. J’ai déjà commenté à peu près le Cid, les Horace, Cinna 2, Pompée, Polyeucte, Rodogune,et j'en suis à Héraclius. Il me paraît que ce travail sera principalement utile aux étrangers qui apprennent notre langue ; chaque page est chargée de notes ; je suis un vrai Scaliger, Mme Scaliger 3, prenez-moi sous votre protection.

Quant à la drôlerie du petit Hurtaud 4, il en sera tout ce qui plaira à Dieu. Je suis résigné à tout depuis la mort du cardinal Passionnei, et depuis notre petite défaite auprès de Ham. J’espérais que le cardinal Passionei me ferait avoir d’admirables privilèges pour mon église savoyarde. J’ai peur d’échouer dans le sacré et dans le profane ; je me disais : on va signer la paix dans Hanovre, tout le monde sera gai et content, on ne songera plus qu’à aller à la comédie, on souscrira en foule pour Pierre Corneille, tous les billets royaux seront payés à l’échéance, tout le monde se prendra par la main pour danser, depuis Collioure jusqu’à Dunkerque ; voilà mon rêve fini , et le réveil est triste.

La divine et superbe Clairon augmentera-t-elle ma douleur, et sera-t-elle fâchée contre moi, parce que j’ai été poli avec M. le comte de Lauraguais 5 ? Mon cher ange lui fera entendre raison ; il me l’a fait entendre si souvent à moi, qui suis plus capricieux qu’une actrice !

Je voudrais bien vous envoyer une partie de mon Commentaire ; mais tout cela est sur de petits papiers comme les feuilles de la Sibylle ; et d’ailleurs rien n’est en vérité moins amusant.

Respect à tous les anges. Le malheur est sur les yeux . Les miens sont affligés aussi  mais je songe aux vôtres.

V. »

1 L'édition de Kehl supprime le dernier tiers du premier paragraphe, après Mes anges ont raison […] à la suite de la copie Beaumarchais . Date complétée sur le manuscrit par d'Argental .

2 Cinna ajouté par V* au dessus de la ligne .

3  Surnom donné à Mme d'Argental par V*.