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01/07/2016

On cabale à la cour, à l’église, à l’armée ; Au Parnasse on se bat pour un peu de fumée, Pour un nom, pour du vent

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 Et tous les moyens sont permis ...

 

 

«A Charles-Godefroy de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon 1

Au château de Ferney en Bourgogne

par Genève le 31 juillet 1761 2

Vous voilà, monseigneur, comme le marquis de La Fare 3, qui commença à sentir son talent pour la poésie à peu près à votre âge, quand certains talents plus précieux étaient sur le point de baisser un peu, et de l’avertir qu’il y avait encore d’autres plaisirs.

Ses premiers vers furent pour l’amour, les seconds pour l’abbé de Chaulieu. Vos premiers sont pour moi, cela n’est pas juste ; mais je vous en dois plus de reconnaissance. Vous me dites que j’ai triomphé de mes ennemis ; c’est vous qui faites mon triomphe.  

Au pied de mes rochers, au creux de mes vallons

Pourrai-je regretter les rives de la Seine ?

La fille de Corneille écoute mes leçons ;

Je suis chanté par un Turenne :

J’ai pour moi deux grandes maisons,

Chez Bellone et chez Melpomène.

A l’abri de ces deux beaux noms,

On peut mépriser les frelons ;

Et contempler gaiement leur sottise et leur haine.

C’est quelque chose d’être heureux :

Mais c’est un grand plaisir de le dire à l’envie,

De l’abattre à nos pieds, et d’en rire à ses yeux !

Qu’un souper est délicieux,

Quand on brave, en mangeant, les griffes des harpies !

Que des frères Berthier les cris injurieux

Sont une plaisante cérémonie !

Que c’est pour un amant un passe-temps bien doux

D’embrasser la beauté qui subjugue son âme,

Et d’affubler encor du sel d'une épigramme

Un rival fâcheux et jaloux !

Cela n’est pas chrétien, j’en conviens avec vous ;

Mais ces gens le sont-ils ? Ce monde est une guerre ;

On a des ennemis en tout genre, en tous lieux :

Tout mortel combat sur la terre ;

Le diable avec Michel combattit dans les cieux ,

On cabale à la cour, à l’église, à l’armée ;

Au Parnasse on se bat pour un peu de fumée,

Pour un nom, pour du vent : et je conclus au bout

Qu’il faut jouir en paix, et se moquer de tout. 4

Cependant, monseigneur, tout en riant, on peut faire du bien. Votre Altesse en veut faire à Mlle Corneille ; vous voulez que je vous taxe pour le nombre des exemplaires . Si je ne consultais que votre cœur, je vous traiterais comme le roi ; vous en seriez pour la valeur de deux cents. Mais comme je sais que vous allez partout semant votre argent, et que souvent il ne vous en reste guère, je me réduis à six, et j’augmenterai le nombre si j’apprends que vous êtes devenu économe. Je supplie Votre Altesse d’agréer mon profond respect, et de me conserver vos bontés au Suisse

Voltaire. »

2 Copie contemporaine datée à tort de 1762 ; copie corrrigée par V* , incomplète ainsi que six autres copies . Le nom de Turenne au quatorzième vers est supprimé dans tous les textes autres que la manuscrit 1 .

3 Charles-Auguste, marquis de La Fare . Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Auguste_de_La_Fare

 

lequel est plus plaisant de savoir ce qui est fait , ou tout ce qui se fera

... Pour tout électeur, les deux sont importants, bien davantage que pour les candidats qui se fichent de ce qui se fera sans eux ou avec eux, et qui descendent en flammes les réalisations de leurs concurrents .

Pour moi le présent et le futur le plus proche sont plus plaisants, le futur lointain est trop aléatoire ; le présent est neuf chaque seconde, quel qu'il soit, bon ou mauvais ; soyons nous-mêmes, ici et maintenant .

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ça mord ! et on se retrouve tantôt coté canne tantôt côté hameçon ! that's life !

 Pêcher, se souvenir des bons moments, en créer de nouveaux ; pécher sans souci d'une vie dite éternelle et d'un enfer de parc d'attractions .

 

 

 

« A [destinataire inconnu]

Au château de Ferney en Bourgogne

par Genève 30 juillet 1761

Dans une petite transmigration, monsieur, d'une maison à l'autre, la lettre dont vous m'honorâtes en date du 1er juin , s'était égarée . Mme du Perron 1 m'ayant appris à qui je devais cette lettre, j'ai été fort honteux , j'ai cherché longtemps et j'ai enfin trouvé . Mais ce que je ne trouverai pas, c'est la solution de votre problème . Quand on demanda à Panurge lequel il aimait le mieux d'avoir le nez aussi long que la vue, ou la vue aussi longue que le nez, il répondit qu'il aimait mieux boire 2.

Vous me demandez lequel 3 est plus plaisant de savoir ce qui est fait , ou tout ce qui se fera : c'est une question à faire aux prophètes ; ces messieurs qui connaissaient l'avenir si parfaitement étaient sans doute instruits également du passé . Il faut être inspiré de Dieu pour savoir bien parfaitement son prétérit, son futur , et même son présent ; notre espèce est fort curieuse et fort ignorante . Celui qui saurait l'avenir saurait probablement de fort sottes , et de fort tristes choses ; et entre autres l'heure de sa mort, ce qui n'est pas extrêmement plaisant à contempler . J'aime mieux au fond de la boîte de Pandore, l'espérance que la science, et je suis de l'avis d’Horace :

Prudens futuri temporis exitum calliginosa noctae premit Deus 4.

Ce que je sais le mieux, c'est que j'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois

monsieur. »

1 Soeur de Mme du Bocage .

2 Le passage n'a pu être retrouvé .

3 s'il est tremplacé par lequel sur le manuscrit .

4 Horace, Odes, III, xxix, 29-30 ; Dans sa prévoyance, Dieu enveloppe d'une nuit ténébreuse l'issue où aboutit l'avenir .