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10/09/2016

il faut que je rie, pour me distraire du chagrin que me donnent les sottises de ma patrie.

... J'ai choisi la phrase la moins pessimiste de cette lettre, où j'avais le choix de constats et craintes désagréables .

Rions .

Réjouissons-nous .

Admirons les humains qui donnent le meilleur d'eux-mêmes à Rio et partout dans le monde , diminués dans leur corps mais exemplaires par leur volonté et leurs talents, je n'ai pas de mots pour exprimer mon admiration pour ceux qui sont sur tous les écrans et pour tous ceux qui au quotidien surmontent leurs handicaps .

 Oublions un moment les sottises, il en viendra bien encore assez, nos politiciens et syndicalistes en sont grands pourvoyeurs à petit mental, grandes gueules .

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

28 septembre 1761 1

O mes anges ,

Tout ce que j’ai prédit est arrivé. Au premier coup de fusil qui fut tiré, je dis : En voilà pour sept ans. Quand le petit Bussy alla à Londres (1)2, j’osai écrire à M. le duc de Choiseul qu’on se moquait du monde, et que toutes ces idées de paix ne serviraient qu’à amuser le peuple. J’ai prédit la perte de Pondichéry, et enfin j’ai prédit que le Droit du Seigneur de M. Picardet réussirait 3. Mes divins anges, c’est parce que je ne suis plus dans mon pays que je suis prophète. Je vous prédis encore que tout ira de travers, et nous serons dans la décadence encore quelques années, et décadence en tout genre ; et j’en suis bien fâché.

On m’envoie des Gouju (2)4 ; je vous en fais part.

Je crois avec vous qu’il y a des moines fanatiques, et même des théologiens imbéciles ; mais je maintiens que, dans le nombre prodigieux des théologiens fripons, il  n’y en a jamais eu un seul qui  ait demandé pardon à Dieu en mourant 5, à commencer par le pape Jean XII, et à finir par le jésuite Letellier et consorts. Il me paraît que Gouju écrit contre les théologiens fripons qui se confirment dans le crime en disant : la religion chrétienne est fausse ; donc il n’y a point de Dieu. Gouju rendrait service au genre humain, s’il confondait les coquins qui font ce mauvais raisonnement. Mais vraiment oui, Dieu, qui savez punir, qu’Atide me haïsse 6, est une assez jolie prière à Jésus-Christ ; mais je ne me souviens plus des vers qui précèdent ; je les chercherai quand je retournerai aux Délices.

J'étais désespéré, je jurais quand Mlle Clairon disait :

On croit qu'à Solamir mon cœur se sacrifie 7.

Eh pauvre femme, il s'agit bien ici de ton cœur, il s'agit de n'être pas pendue ! pourquoi parles-tu de Solamir ? personne n'a dû t'en parler . Si tu crois que tu vas être pendue pour lui, pourquoi dis-tu au quatrième acte en parlant de ton cher Tancrède :

Que veut-il, quelle offense excite son courroux,

De qui dans l'univers peut-il être jaloux ?8

Enfin il y a mille raisons qui doivent faire réprouver ce détestable vers qui commence par ces mots comiques on croit . Qu'on ait la bonté de me faire apercevoir de mes défauts , je remercie à genoux, mais qu'on gâte ma pièce par des vers qui me donnent la fièvre ! je vous avoue que j'en mourrais de chagrin . Au nom du bon goût et de mes vives douleurs empêchez que Mlle Clairon ne dise ce vers que j'ai en horreur .

Je lui ai envoyé une de mes notes sur Corneille, qui regarde sa profession, elle est certainement plus convenable et plus utile que la ridicule consultation du pauvre Huerne .

Je travaille sur Pierre, je commente, je suis lourd. C’est une terrible entreprise de commenter trente-deux pièces, dont vingt-deux ne sont pas supportables, et ne méritent pas d’être lues.

Les estampes étaient commencées. Les Cramer les veulent. Je ne me mêlerai que de commenter, et d’avoir raison si je peux. Dieu me garde seulement de permettre qu’ils donnent une annonce avant qu’on puisse imprimer . Je veux qu’on ne promette rien au public, et qu’on lui donne beaucoup à la fois. Mes anges, j’ai le cœur serré du triste état où je vois la France ; je ne ferai jamais de tragédie si plate que notre situation .

Je me console comme je peux. Qu’importe un Picardet ? ou Rigardet ? il faut que je rie, pour me distraire du chagrin que me donnent les sottises de ma patrie. Je vous aime, mes divins anges ; et c’est là ma plus chère consolation. Je baise le bout de vos ailes.

V. 

N.B.  – Qu’importe que M. le duc de Choiseul ait la marine ou la politique ! Mellin de Saint-Gelais, auteur du Droit du Seigneur, ne peut-il pas dédier sa pièce à qui il veut ? »

1L'édition de Kehl et suivantes supprime tout le passage : J'étais désespéré ….. Huerne . Le P.S. est écrit dans la marge du bas .

2 Le 23 mai 1761 ; sur la mission de Bussy voir lettre du 1er juin 1761 à Chennevières, où V* ne dit d'ailleurs pas exactement ce qu'il prétend avoir prévu ; voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/05/01/j-ai-ete-accable-de-mille-petites-affaires-qui-font-mourir-e-5795742.html

3 La pièce n'a pas encore été représentée .

5 Première référence conservée de V* au curé Meslier depuis 1735 .

6 Zulime, variante, Ac. III, 5 .

7 Tancrède, II, 7 ; le passage contenant ce vers a été remplacé par un autre .

8 Tancrède, IV, 5 .