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24/10/2016

je vois bien à peu près ce qui nous manque, et je vois très clairement mes défauts ; mais il y a l'infini entre juger et faire

...L'infini, seul élément naturel dont l'unité de mesure est la bêtise humaine, ce qui nous laisse peu d'espoir pour que nos actions soient à la hauteur de nos réflexions . Je dis "nos", tout en pensant à nos chers dirigeants politiques, car après tout, c'est bien nous qui les avons élus, à corps défendant le plus souvent,  notre confiance étant fort mal placée dès lors que nous avions/avons si peu de choix .

humour  ne rien faire:

2017 : Bis repetita ?

 

 

 

« A Girolamo Gastaldi

Au château de Ferney par Genève

26 octobre 1761

Mons.

Si vous vous amusez à faire des tragédies je vous demande la préférence pour être le traducteur . Votre style est si naturel, si facile, qu'on croira quelque jour que c'est vous qui avez inventé Alzire 1, et que c'est moi qui ait eu l'honneur de vous traduire . Vous parlez du théâtre en maître, et vous pensez comme vous écrivez . Si j’ai été charmé par votre traduction monsieur, j'ai été instruit par votre lettre : il y a bien peu de bonnes tragédies dans le monde à commencer par les Grecs : nous en avons nous autres Français environ quatre mille parmi lesquelles on n'en trouvera pas douze dignes de passer à la postérité . C'est peut-être de tous les beaux arts le plus difficile : je vois bien à peu près ce qui nous manque, et je vois très clairement mes défauts ; mais il y a l'infini entre juger et faire . La nature a donné à notre espèce une sagacité prodigieuse pour discerner le mauvais et une malheureuse impuissance à faire le bien : mais après tout monsieur il faut que le chemin soit escarpé et que le petit nombre des élus soit un point de foi dans les arts, comme ailleurs . Il n'y a pas un seul élu en Angleterre, pas un en Espagne, et vous n'avez en Italie, comme vous le dites , monsieur, que le Mérope de Maffei .

Je conçois que les castrati et les maestri di cappella ont fait un peu de tort à l'art de Sophocle ; mais je suis persuadé qu'à la fin les Italiens nos maîtres reviendront au bon goût, dont ils nous ont donné les premières leçons .

Il y a quelques jeunes gens qui s'élèvent, et tout n'est pas livré à l'opera alla moda . Vous me demandez monsieur pourquoi je ne vais pas en Italie, dont je suis si voisin . Je vous répondrai ingénument que je n'aime point à demander la permission de penser et de lire à un jacobin : qu'on rende à l'Italie la liberté avec laquelle Lucrèce et Cicéron écrivaient, je pars dans le moment tout vieux et malade que je suis .

Je me suis fait une petite destinée assez agréable dans une terre libre que je possède : j'y bâtis une église pour Dieu et un théâtre pour moi : j'y achève en paix ma vie loin des orages de ce monde ; et une de mes plus grandes satisfactions monsieur est d'y recevoir des lettres telles que les vôtres .

Il est triste d'être borné à n'avoir l’honneur de vous connaître que par lettres . C'est dommage que les gens qui pensent soient dispersés, tandis que les sots sont rassemblés en foule . Un grand préservatif contre les sots dont la terre abonde, c'est votre société, c'est celle que vous trouvez à Turin, et surtout celle de M. le marquis et de Mme de Chauvelin . Vous trouvez dans eux non seulement l'esprit, mais encore de grands talents . Je vous porte envie, et j'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que vous inspirez

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

1 Gastaldi a envoyé à V* une traduction qu'il a faite en italien d' Alzire ; voir lettre du 25 octobre 1761 à B. L. Chauvelin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/10/15/apres-tout-il-n-est-pas-honnete-de-dire-des-verites-en-face-5861223.html