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23/03/2017

Je n’en peux plus. J’ai bien peur de ne pas achever cette édition, et dire medium solvar et inter opus

... Heureusement, l'ami Voltaire aura encore seize années pour accomplir une oeuvre inégalable, avant de se dissoudre comme nous tous le ferons . J'ai parfois aussi la même crainte concernant ce blogounet, et puis je me requinque en voyant l'ouvrage formidable de Mam'zelle Wagnière, que vous connaissez sous le nom de LoveVoltaire , et qui, contre vents et marées, fait connaître ce génial humain , Voltaire .

 

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Blog = petite muraille de Chine

 

 

« A Charles Pinot Duclos

A Ferney 23 avril 1762

Il faut vous avouer, monsieur, que le théâtre de Ferney a fait un peu de tort à nos commentaires, et que nous avons, pendant quelques jours, abandonné Corneille pour Lekain. Nous avons fait de mademoiselle Corneille une assez bonne actrice, au lieu de travailler à l’édition de son oncle. Le commentateur, les libraires, la nièce  du commentateur, tout cela a joué la comédie. Cela n’a pas pourtant interrompu notre entreprise ; mais il y a eu du relâchement. Une autre raison encore qui a arrêté le cours de mes consultations, c’est que je me suis mis à traduire l’Héraclius espagnol, imprimé à Madrid en 1643, sous ce titre : La famosa comedia  en esta vida, todo es verdad, y todo es mentida , fiesta que se represento à sus Mayestades, en el salon Real del palacio 1. Le savant 2 qui m’a déterré cette édition, prodigieusement rare, prétend que sus Majestades veut dire Philippe et Elisabeth, fille de Henri IV, qui aimait passionnément la comédie, et qui y menait son grave mari. Elle s’en repentit ; car Philippe IV devint amoureux d’une comédienne 3, et en eut don Juan d’Autriche. Il devint dévot, et n’alla plus au spectacle après la mort d’Elisabeth. Or Elisabeth mourut en 1644, et mon savant prétend que la Famosa Comedia, jouée en 1640, fut imprimée en 1643 ; mais comme mon exemplaire est sans date, il faut en croire mon savant sur sa parole 4. Le fait est que cette tragédie est à faire mourir de rire d’un bout à l’autre ; les Mille et une Nuits sont beaucoup moins merveilleuses. Si quelque chose dans le monde a jamais eu l’air original, c’est assurément cette extravagance, dont aucun roman n’approche. Il suffit d’en lire deux pages pour être convaincu que l’auteur a tout pris dans sa tête. Je la ferai imprimer, afin qu’on puisse aisément apercevoir la petite différence qui se trouve entre notre Héraclius et la Comedia famosa.

Je dois vous donner avis que le premier volume, contenant seulement Médée et le Cid, est déjà si énorme, que je serai obligé de rejeter à la fin du dernier tome la vie de l’auteur, et les anecdotes et réflexions que je mettrai dans mon épître dédicatoire  à l’Académie. L’épître ne pourra plus contenir qu’un simple témoignage de ma respectueuse reconnaissance, et une note avertira que la Vie de P. Corneille se trouvera au dernier volume, avec quelques pièces curieuses. Cette vie, rejetée à ce dernier tome, fera au moins ouvrir quelquefois un tome que sans cela on n’ouvrirait jamais ; car qui peut lire la Galerie du Palais et la  Place-Royale ? Ce dernier tome sera uniquement destiné à la comédie, avec un discours sur la comédie espagnole, anglaise, et italienne ; mais il faut se bien porter, et je suis un peu sur le côté.

Je tâcherai de vous envoyer dans peu les remarques sur Rodogune et sur Sertorius.

J’ai repris cette lettre cinq ou six fois . Je n’en peux plus. J’ai bien peur de ne pas achever cette édition, et dire  medium solvar et inter opus 5.”

1 L'illustre comédie ; en cette vie, tout est vérité et tout est mensonge ; fête qui est représentée devant Leurs Majestés dans la salle royale du palais .

2 Mayans y Siscar , dans sa lettre du 14 février 1762 . Voir : https://es.wikipedia.org/wiki/Gregorio_Mayans

3 Maria Calderon, qui aura pour fils Don Juan dont le père est peut-être Philippe IV . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mar%C3%ADa_Calder%C3%B3n

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_IV_(roi_d%27Espagne)

5 Je me dissoudrai au milieu même de mon ouvrage ; Ovide, Amours, II, x, 36 . Chez Ovide, opus désigne spécialement l'acte amoureux .