Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/07/2017

on ne demande que la justice la plus exacte ; tout dépend de l'opinion des juges, et cette opinion dépend beaucoup de celle du public

... Ou plus exactement de celle du jury . Si le public était seul juge, je parierais mon dernier Kleenex que l'on aurait une justice aussi jetable que lui après usage .

 

 

« A Philippe Debrus

[vers le 7 août 1762] 1

Je bénis, monsieur, le maître de la vie et de la mort qui vous rend votre santé ; je m'y intéresse tendrement, et j'espère bientôt venir vous le dire .

Je suis fort de votre avis que Mme Calas aille trouver M. Quesnay 2 , mais je ne sais si elle se doit trouver sur le passage du roi , à moins qu'il y ait quelqu'un qui la fasse remarquer à Sa Majesté et qui lui en ait déjà parlé ; sans quoi cette démarche sera tout à fait inutile . D'ailleurs, ne croyez pas que sa présence et son deuil puissent avoir la moindre influence sur l'évènement du procès . Ce n'est point ici une affaire de faveur et de grâce, on ne demande que la justice la plus exacte ; tout dépend de l'opinion des juges, et cette opinion dépend beaucoup de celle du public qui a pris avec chaleur le parti de cette famille infortunée . Laissons je vous en conjure commencer le procès ; ce sera alors que nous redoublerons nos batteries ; il faudra bien qu'on mène Mme Calas chez les juges ; il faudra surtout que ce soit un homme intelligent qui la conduise chez eux en grand deuil, et plût à Dieu qu'elle fût même accompagnée d'un de ses enfants ! Leur présence seule vaudra cent pages d'écritures .

Si Mme Calas était une femme éloquente, dont la figure, les discours, et les larmes fissent une profonde impression sur les esprits, si elle savait dire de ces choses qui ébranlent l'imagination des hommes, et qui pénètrent le cœur , je lui dirais, montrez vous partout, parlez à tout le monde ; mais ce n'est pas là son caractère ; M. Crommelin en est convenu avec moi, il pense que dans le moment présent il faut qu'elle se montre peu, et qu'on agisse beaucoup pour elle . Je vous réponds que nous agissons bien, que tout ira bien ; et je parierais cent contre un pour le gain de son procès .

Tranquillisez-vous donc, mon cher monsieur, et que votre vertu soit moins inquiète . L'homme du monde le mieux disposé est monsieur le contrôleur général, j'en ai des preuves certaines ; et je ne désespère pas de faire obtenir une petite pension, à cette veuve dès que l'infâme arrêt de Toulouse sera cassé .

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur, et je suis entièrement à vos ordres .

V. »

1Le manuscrit est endossé « août 1762 » et l'édition place la lettre entre le 5 et le 9 .

2 Les physiocrates, dont Quesnay était un des principaux représentants, avaient alors quelque influence sur le roi . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Quesnay

et : http://ses.ens-lyon.fr/articles/les-grands-themes-25510

et : https://www.alternatives-economiques.fr/francois-quesnay-fondateur-de-physiocratie/00025714

Je voudrais que quelque bonne âme pût dire au roi , Sire, voyez à quel point vous devez aimer ce parlement

... Monsieur le président jusqu'à quel point pourrez-vous aimer ce parlement ?

Image associée

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

7 auguste 1762

Mes divins anges, mon cœur est bien gros. Je suis atterré de la piété du bailli de Froulai 1, et j’aime cent fois mieux le bailli du Droit du Seigneur. Est-il possible qu’il se soit déclaré contre les comédiens et contre ce bon curé de Saint-Jean de Latran ? Il n’aurait jamais fait pareille infamie du temps de mademoiselle Lecouvreur et du chevalier d’Aydie.

Mon second tourment est l’inquiétude que j’ai pour dame Catherine 2 ; j’ai bien peur que ce vieux héros de comte de Munich n’ait pris le parti de l’ivrogne Pierre Ulric 3. Il est généralissime. Il aime peu les dames depuis qu’une d’elles l’a envoyé en Sibérie ; il est un peu Prussien : tout cela me donne beaucoup d’embarras.

Ma troisième douleur est l’affaire des Calas. Je crains toujours que M. le chancelier ne prenne le prétexte d’un défaut de formalités, pour ne pas choquer le parlement de Toulouse. Je voudrais que quelque bonne âme pût dire au roi , Sire, voyez à quel point vous devez aimer ce parlement , ce fut lui qui, le premier, remercia Dieu de l’assassinat de Henri III, et ordonna une procession annuelle pour célébrer la mémoire de Saint-Jacques Clément, en ajoutant la clause qu’on pendrait, sans forme de procès, quiconque parlerait jamais de reconnaître pour roi, votre aïeul Henri IV.

Henri IV gagna enfin son procès ; mais je ne sais si les Calas seront aussi heureux ; je n’ai d’espoir que dans mes chers anges, et dans le cri public. Je crois qu’il faut que MM. de Beaumont et Mallart fassent brailler en notre faveur tout l’ordre des avocats, et que, de bouche en bouche, on fasse tinter les oreilles du chancelier, qu’on ne lui donne ni repos ni trêve, qu’on lui crie toujours, Calas ! Calas !

Ma quatrième inquiétude vient de la famille d’Alexandre 4. Je l’ai envoyée à l’Électeur palatin, en lui disant qu’il ne fallait point la faire jouer, et sur-le-champ il a distribué les rôles. Je vais lui écrire pour le prier de ne la point imprimer, et il l’imprimera 5. Je crois que, pour me dépiquer, je serai obligé d’en faire autant. Je suis presque aussi content de Cassandre qu’un Palatin ; mais il se pourrait faire que mon extrême dévotion dans cet ouvrage, ma confession, ma communion, ma Statira mourant de mort subite, mon bûcher, etc., donnassent quelque prise à mes bons amis les Fréron et consorts. J’ai écrit la pièce de mon mieux ; mais je crois qu’il faut accoutumer le public, par la voie de l’impression à toutes ces singularités théâtrales ; c’est, à mon sens, le meilleur parti, d’autant plus qu’étant dans le goût des commentaires, j’en ai fait un sur cette pièce qui est extrêmement profond et merveilleux ; maître Joly de Fleury pourrait en être tout ébouriffé.

Je vous enverrai Hérode et Mariamne incessamment ; vous y verrez une espèce de janséniste 6, essénien de son métier, que j’ai substitué à Varus, comme je crois vous l’avoir déjà dit. Ce Varus m’avait paru prodigieusement fade. Je baise toujours du meilleur de mon cœur le bout de vos ailes, et présente mes respects et remerciements à madame d’Argental.

V.»

 

 

1 Froulai était ambassadeur de Malte à Paris . L'église de Saint-Jean de Latran où s'était célébré le service pour Crébillon avait le titre de commanderie de Malte .Voir page 324 : https://books.google.fr/books?id=uoS4r5_J2ZcC&pg=PA324&lpg=PA324&dq=froulai+1762+ambassadeur+de+malte&source=bl&ots=pnACDtB9kI&sig=Fj_aEWjDZtoqQL0SmGF3gk9i1pQ&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjqwqelqOnUAhWBSBQKHVFSC50Q6AEINTAD#v=onepage&q=froulai%201762%20ambassadeur%20de%20malte&f=false

2 Catherine II, la révolution de palais avait eu lieu le 9 juillet 1762 ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_II

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_III_(empereur_de_Rus...)

3 L'impératrice Anne avait déclaré son petit-neveu Ivan (né en 1740) son successeur . Quand Élisabeth monta sur le trône, il n'avait que deux ans : elle le fit emprisonner . Quand à son tour Catherine s'empara du pouvoir, elle ordonna qu'il fût immédiatement mis à mort si quelque tentative était faite pour le libérer . Il fut effectivement tué dans la nuit du 5 au 6 juillet 1764 . Quant au comte de Munich il avait été exilé lors de l'accession au trône d’Élisabeth . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_Ire_(imp%C3%...)

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_(imp%C3%A9ratrice_de_R...)

4 La tragédie d'Olympie .

5 Collini effectivement publia la pièce d'Olympie en 1763 . l’Électeur palatin remerciait V* le 28 juillet 1762 pour sa « famille d'Alexandre » ajoutant : « La pièce, telle qu'elle est, me paraît de toute beauté et ressemble à vos autres productions . »

6 Sohême, dans la version primitive d'Hérode et Mariamne, 1725, qui était déjà une version remaniée de Mariamne, représentée en 1724 . Varus y représente le gouverneur romain amoureux de Mariamne .