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10/11/2017

Je n'ai point peuplé, et j'en demande pardon à Dieu . Mais aussi la vie est-elle toujours quelque chose de si plaisant qu'il faille se repentir de le l'avoir pas donnée à d'autres ?

...Un petit accent amer avec une pointe d'humour, tel est l'esprit de ce grand homme .

NB.-- Vient de paraitre :

https://www.franceinter.fr/culture/voltaire-amoureux-le-p...

On peut être amoureux, et stérile physiquement parlant, et prolixte et génial intellectuellement, Voltaire nous le prouve .

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A suivre ...

Je le lirai dès la semaine prochaine .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

A Ferney, 2 janvier 1763 1

J'ai reçu, mon très cher frère, le petit chapitre concernant l'Encyclopédie 2, et j'ai retranché sur-le-champ le petit article où je combattais les droits du parlement 3, quoique je sois bien persuadé que le parlement n'a aucun droit sur les privilèges du sceau ; mais je ne veux point compromettre mes frères . Je sais fort bien que quand on s'avise de prendre le parti de l'autorité royale contre messieurs, messieurs vous brûlent ; et le roi en rit . D'ailleurs dans le petit chapitre des billets de confession et des querelles parlementaires et épiscopales 4, j'ai dit assez rondement la vérité . J'ai peint les uns et les autres tout aussi ridicules qu'ils étaient, sans pourtant y mettre de caricature .

J'ai lu l’analyse d'Eponine avec plus de plaisir que je n'aurais lu la pièce . Je plains le tripot français qu’on appelle théâtre . Je comptais que la divine Clairon viendrait dans le tripot de Ferney, mais je vois bien qu'elle restera dans celui de Paris .

J'ai une envie extrême de lire un mémoire que M. Loyseau fit , il y a quelques années, pour Mlle Alliot de Lorraine 5. J'ai connu cette demoiselle à Lunéville et le style de M. Loyseau augmente ma curiosité . Je demande en grâce à mon frère de m'obtenir cette grâce de M. Loyseau .

J'attends la population de M. de Beaumont . Ce livre sera sans doute ma condamnation 6. Je n'ai point peuplé, et j'en demande pardon à Dieu . Mais aussi la vie est-elle toujours quelque chose de si plaisant qu'il faille se repentir de le l'avoir pas donnée à d'autres ?

Nous touchons, je crois, à la décision du Conseil sur l'affaire des Calas . Est-il vrai qu'il faudra préalablement faire venir les pièces de Toulouse ? Ne sera-ce pas plutôt après la révision ordonnée que le parlement de Toulouse sera obligé d'envoyer la procédure ?

Au reste, mes frères, gardez-vous bien de m'imputer le petit livre sur la tolérance 7, quand il paraîtra . Il ne sera point de moi, et ne doit point en être . Il est de quelque bonne âme qui aime la persécution comme la colique .

Frère Thieriot se tue à écrire ; dites-lui qu'il se ménage . Cependant, raillerie à part, je lui pardonne s'il mange bien, s'il dort bien, et surtout si son frère m’écrit .

J'embrasse tous mes frères . Ma santé est pitoyable . Écrasez l’infâme .

P.S. – Il y a un petit mémoire incendié d'un président au mortier ou à la mortier 8, frère peu sensé de l’insensé d'Argens . Je ne hais pas à voir les classes du parlement se brûler les unes les autres en cérémonie . Cela me paraît fort plaisant, et digne de notre profonde nation . Mais vous me feriez surtout un plaisir extrême de m'envoyer par la première poste, le mémoire du président au mortier . »

1 Dans l'édition de Kehl manque le second paragraphe omis dans la copie Beaumarchais, qui ajoute plus loin la lettre du 10 janvier 1763 à Damilaville, suivie par les autres éditions . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/05/correspondance-annee-1763-partie-1.html

3 Effectivement ce chapitre ne contient rien sur ces matières .

4 Ce chapitre constitue le chapitre XXXVI du Précis du siècle de Louis XV : voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Pr%C3%A9cis_du_si%C3%A8cle_de_Louis_XV/Chapitre_36

5 Mémoire pour la demoiselle Alliot contre le nommé La Ralde soi-disant tuteur de Basile -Amable de Beauvau. , 1761 , d'Alexandre-Jérôme Loyseau de Mauléon .Voir : https://archive.org/stream/barreaufranaisc04clai/barreaufranaisc04clai_djvu.txt

6 Ce livre n'est pas identifié ; tout ce qu'on en sait se réduit à ce qu'on lit dans la lettre du 21 janvier 1763 à Damilaville ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-2.html

7 Évidemment Le Traité sur la tolérance .

8 Alexandre-Jean-Baptiste de Boyer, chevalier d'Éguilles, a publié des mémoires contre ses collègues au parlement d'Aix, en faveur des jésuites . Ils ont été édités par Auguste Carayon sous le titre Mémoires du président d'Eguilles sur le parlement d'Aix et les jasuites, adressé à Sa Majesté Louis XV, 1867 . On disait effectivement président au mortier ou à mortier (dictionnaire de Richelet ) .Voir : https://sites.google.com/a/orecer.space/gorgishripat/memoires-du-president-d-eguilles-sur-le-parlement-d-aix-et-les-jesuites-adresses-a-sa-majeste-louis--B002K2R9VE

M. Micaut en a parlé en secret à une dame qui se porte bien, laquelle l’a redit en secret à une autre dame discrète ; de sorte que notre secret est public

... Voici ce que j'appelle partager de manière radicale un secret féminin  ....Image associée

 

 

« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

A Ferney, 2 janvier 1763 1

Madame l’ange, le bonhomme V. répond à la belle lettre, bien éloquente, bien pensée, bien agréable, que vous avez adressée à ma nièce, en attendant qu’elle vous remercie elle-même.

Il est vrai que j’ai toujours pensé que mes deux anges favorisaient beaucoup mon demi-philosophe 2. Comment ne l’aurais-je pas cru, puisque mes deux anges me l’ont proposé ? Ils savent à présent de quoi il est question, mais notre demi-philosophe n’en sait rien, et n’en saura rien, si la chose ne se fait pas. Ce qui nous peut intriguer un peu, c’est que votre capitaine a fait confidence de son dessein coquet 3 à M. Micaut 4, aide-major de l’armée d’Etrée 5, son compatriote, neveu de Montmartel, qui est actuellement à Genève au nombre des patients de Tronchin. M. Micaut en a parlé en secret à une dame qui se porte bien, laquelle l’a redit en secret à une autre dame discrète ; de sorte que notre secret est public, et que si le mariage manque, la longue cohabitation dans le même château pourra faire grand tort à notre enfant, qui est bien loin de mériter ce tort, et qui est digne assurément de l’estime et de l’amitié de tous ceux qui la connaissent. Elle raisonne sur tout cela fort sensément . Elle se conduit avec sagesse. Je n’ai point connu de plus aimable naturel, et de plus digne de votre protection . Le futur, comme j’ai déjà dit, n’a rien. Je me trompe, il a des dettes, et ces dettes étaient inévitables à l’armée. Je le crois honnête homme : j’espère qu’il se conduira très bien, mais, encore une fois, il n’a que des dettes, une compagnie qui probablement sera réformée, un père et une mère qui ont l’air de ne laisser de longtemps leur mort à pleurer à leur philosophe, qui se sont donné mutuellement leur bien par contrat de mariage, et qui ont une fille qu’ils aiment.

Voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes 6.

2° Vous pensez bien que je souhaite que l’édition de Pierre vaille beaucoup à Marie. Mais, si nous avons compté sur tous les beaux seigneurs français qui ont donné leurs noms, nous sommes un peu loin du compte : la plupart n’ont rien payé . Quelques-uns ont payé pour un exemplaire, après avoir souscrit pour cinq ou six . Monsieur le contrôleur-général 7 a fait pis : il a écrit qu’il fallait que les frères Cramer lui envoyassent deux cents exemplaires pour lesquels le roi a souscrit ; qu’il les paierait en papiers royaux, à quarante francs l’exemplaire, tandis qu’on les paie, argent comptant 48 . Si ce ministre fait toujours d’aussi bonnes affaires pour le roi, Sa Majesté sera très à son aise.

Philibert Cramer, très beau garçon, quoique un peu dossu 8, devait solliciter les paiements à Paris : mais c’est un seigneur aussi paresseux qu’aimable, et plus attaché à l’hôtel de La Rochefoucauld qu’aux vers de Corneille. Il a de l’esprit, du goût ; il n’aime ni Héraclius ni Rodogune, et a renoncé à la dignité de libraire. Leurs Sacrées Majestés, l’empereur et l’impératrice, ont souscrit pour deux cents exemplaires, et la caisse impériale n’a pas donné un denier. J’ai pressé les Cramer d’agir, mais il n’y a eu de souscriptions que celles que j’ai procurées. Cependant je sue sang et eau depuis un an ; je sacrifie tout mon temps. Il me faut commenter trente-trois pièces, traduire de l’espagnol et de l’anglais, rechercher des anecdotes, revoir et corriger toutes les feuilles, finir l’Histoire générale et celle du czar Pierre, travailler pour les Calas, faire des tragédies, en retoucher, planter et bâtir, recevoir cent étrangers, le tout avec une santé déplorable. Vous m’avouerez que je n’ai guère le temps d’écrire à des souscripteurs, que c’est aux Cramer à s’en charger. Je leur ai donné des modèles d’avertissement . Ils ne s’en sont pas encore servis . Il faut prendre patience.

3° J’ai toujours bien entendu qu’on ferait, sur le produit, une pension au père et à la mère, et cette pension sera plus ou moins forte, selon la recette. Si mademoiselle Corneille a quarante mille francs de cette affaire, il faudra remercier sa destinée ; si la somme est plus forte, il faudra bénir Dieu encore davantage. Nous avons déjà donné soixante louis au père et à la mère. Les frais sont grands, la recette médiocre. Les Cramer nous donneront un compte en règle 9.

4° Maintenant mes anges il faut vous dire un petit mot d'Olympie . Il y a près de deux mois que je l'ai mise sous la clef après avoir eu le bonheur de me rencontrer avec une de vos idées . C'est au quatrième acte , c'est le bon Hiérophante qui apprend à Olympie que sa mère s'est donné la mort .

Olympie

Pontife, où courez-vous ? Protégez ma faiblesse .

Vous tremblez, vous pleurez ! Quelle douleur vous presse ?

L’Hiérophante

Je pleure votre état .

Olympie

Ah ! Soyez-en l'appui .

L'Hiérophante

Résignez vous au ciel , vous n'avez plus que lui .

Olympie

Comment ? Que dites-vous ?

L'Hiérophante

Ô fille auguste et chère

La veuve d’Alexandre …

Olympie

Ah justes dieux – ma mère !

Eh bien ?

L'Hiérophante

Tout est perdu, les deux rois furieux

Bravant également et nos lois et nos dieux,

Franchissant les parvis de l'enceinte sacrée

Encourageaient leur troupe au meurtre préparée ;

Déjà coulait le sang, déjà le fer en main

Cassandre jusqu'à vous se frayait son chemin .

J'ai marché contre lui n'ayant pour ma défense

Que les lois qu'il viole, et les dieux qu'il offense .

Votre mère éperdue se s'offrant à ses coups

L'a cru maître à la fois de ce temple et de vous

Lasse de tant d'horreurs, lasse de tant de crimes,

Elle a saisi le fer qui frappe les victimes,

L'a plongé dans ces flancs où le ciel irrité,

Vous fit puiser la vie et la calamité .

Olympie

Je me meurs . – Ô ma mère ! – est-elle encore vivante ?

L'Hiérophante

Cassandre est à ses pieds, et de sa main sanglante

Lui prodigue en pleurant ses funestes secours .

Il demande la mort, et veille sur ses jours .

Elle abhorre, elle craint Cassandre et la lumière

Et levant vers les cieux sa débile paupière,

Allez, m'a-t-elle dit , ministre 10 infortuné

De cet asile saint par le sang profané,

Consolez Olympie, elle m'aime, et j'ordonne

Que pour venger sa mère elle épouse Antigone .

Olympie

Allons mourir auprès d'elle en présence des dieux,

Venez, guidez mes pas – venez fermer nos yeux .

L'Hiérophante

Armez-vous de courage .

Olympie

Ô sang qui m'a fait naître !

[En pleurant]

J'en ai besoin seigneur – et j'en aurai peut-être 11.

Voilà à peu près mes divins anges comme cette scène est tournée . J'ai rompu mon serment pour vous, j'ai revu Olympie, j'ai pris cette scène pour vous donner un intermède dans la grande affaire que nous traitons .

Pour l'autre idée elle m'a toujours paru impraticable . Si Cassandre a frappé Statira 12 sans la connaître, s'il a toujours fait des crimes sans le savoir, la religieuse Statira doit lui pardonner . On ne s'intéresse plus à Statira, elle n'est plus qu'un trouble-fête , la pièce est tuée . Croyez-moi, cela est palpable . N'en parlons plus, et renfermons vite Olympie .

5° J'ai déjà dit ma pensée sur Zulime et sur Le duc de Foix et sur Le Droit du seigneur et sur Mariamne 13. Je crois fermement qu'il ne faut imprimer Zulime qu’en cas qu'on la rejoue, et qu'il ne faut l’imprimer qu'avec une autre pièce . Je crois que Mariamne et Le Droit du seigneur peuvent valoir quelque argent au tripot malgré l'opéra-comique qui est devenu le théâtre de la nation . Voilà mon crédo .

6° Je crois encore que le mariage ne peut se faire à moins de la grâce que j'ai imaginée parce que le père ne donnera pas un denier et que tout au plus il assurera, parce que le fils n'a rien, parce que je donne peu, parce que le Corneille ne sera imprimé qu'à la fin de l'année 1763 .

Je compte dans ce moment l'affaire faite ou manquée . Je compte que vous daignez m'en instruire . Quelque chose qui arrive je baise bien humblement le bout des ailes de mes anges . Je leur suis créature attachée jusqu’au dernier moment de ma drôle de vie .

V.

Mes chers anges serez-vous assez bons pour m'envoyer ce mémoire d'un président au mortier 14, incendié par vos présidents au mortier, cela doit être divertissant .

Respect et tendresse . »

1 Pour le quantième, V* a d'abord écrit 1 .

3 Épouser Marie Corneille .

4 Ou Micault .

5 Ou d'Estrées .

6 Cinna, I, 3 .

7 Bertin .

8 Dossu est une forme dialectale qui signifie « qui a le dos voûté » .

9 Tout ce qui suit a été barré sur la copie Beaumarchais-Kehl et manque par conséquent dans toutes les éditions .

10 V* a d'abord écrit pontife puis corrigé .

11 Ce dialogue sustanciellement corrigé forme la scène 8 de l'acte IV d'Olympie .

12 V* a d'abord écrit Olympie .

13 et sur Mariamne a été ajouté entre les lignes .

14 Alexandre-Jean-Baptiste de Boyer, chevalier d'Éguillon ; voir lettre du même jour à Damilaville .