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10/01/2018

Il est assez plaisant qu'on puisse imprimer la calomnie, et qu'on ne puisse pas imprimer la justification

... Affirmation du XVIIIè siècle, à actualiser aujourd'hui, ou non ?

 

« A Etienne-Noël Damilaville

13 février [1763]

Mon cher frère, si vous n'avez pas des Éclaircissements historiques, en voici . Il est assez plaisant qu'on puisse imprimer la calomnie, et qu'on ne puisse pas imprimer la justification i. Je joins à ces deux exemplaires la véritable feuille de l'Essai sur les Mœurs ii de laquelle assurément Messieurs doivent être contents, à moins qu'ils ne soient extrêmement difficiles . Comme il n'y a rien dans cette feuille qui ne se trouve dans le procès de Damiens que le parlement lui-même a fait imprimer, je ne vois pas que Messieurs aient le moindre prétexte de me traiter comme les jésuites ; d'ailleurs, j'aime la vérité, et je ne crains point Messieurs. Je suis à l'abri de leur greffier . Au reste, il me semble qu'il y a , à la page 325, une chose bien flatteuse pour un de ces Messieurs iii.

Quant à la roture de Messieurs, il faudrait être aussi ignorant qu'un jeune conseiller au parlement pour ne pas savoir que jamais de simples conseillers ne furent nobles . Voyez le chapitre de la noblesse . C'est bien pis. Les chanceliers n'étaient pas nobles par leur charge ; ils avaient besoin de lettres d'anoblissement . Quand on écrit l'histoire il faut dire la vérité et ne point craindre ceux qui se croient intéressés à l'opprimer.

Le traité sur l'éducation iv me parait un très bon ouvrage, et pour tout dire, digne de l'honneur que frère Platon-Diderot lui a fait d'en être l'éditeur.

Si frère Thieriot ne sait pas l'air de Béchamel, je vais vous l'envoyer noté, car il faut avoir le plaisir de chanter : Vive le roi et Simon Lefranc !v

Avez-vous entendu parler de la pièce dont M. Goldoni a régalé le Théâtre-Italien vi? a-t-elle du succès ? joue-t-on encore le vieux Dupuis et M. Desronais vii? J'avais prié mon cher frère de m'envoyer ce Dupuis ; j'attendais le discours de mon confrère l'évêque de Montrouge viii, il m'avait écrit qu'il me l'envoyait, mais point de nouvelles . Monsieur l'évêque est occupé auprès de quelques filles de l'Opéra-Comique . Mais c'est à frère Thieriot que j'en veux : il est bien cruel qu'il n'ait pas encore cherché les Dialogues de Grégoire-le-Grand . Je les avais autrefois . C'est un livre admirable en son espèce : la bêtise ne peut aller plus loin.

J'embrasse tendrement mon cher frère, et je le prie de faire passer cette lettre à Pindare-Le Brun dont je suis censé ignorer les sottises ix.

Je reçois Tout le monde a tort x. Ce Tout le monde a tort ne serait-il point de Mme Belot ? Il me parait qu'une ironie de soixante pages en faveur des jésuites pourrait être dégoutante . »

i « petite addition » à l'Histoire générale : Éclaircissements historiques à l'occasion d'un libelle calomnieux sur l'Essai de l'histoire générale, qui répond aux Erreurs de M. de Voltaire, de Nonnotte . Damilaville a également écrit une réponse que V* joignit à la sienne sous le titre de Additions aux susdits éclaircissements .

http://www.archive.org/details/erreursdevoltair01nonn

http://www.voltaire-integral.com/Html/24/64_Eclaircisseme...

Cf. lettres à d'Alembert du 28 novembre 1762, à Damilaville du 9 septembre et du 13 décembre 1762 :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/27/a...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/08/c...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/12/13/l...

La « calomnie » désigne les écrits de Nonnotte . Les Éclaircissements sont signalés à Malesherbes comme imprimés du 29 janvier 1763.

ii A ce propos, voir lettre à Mme d'Argental du 9 février : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/09/j...

iii Dans le chapitre sur l'attentat de Damiens «  ... l'un (des membres du parlement exilé) ... célèbre pour son patriotisme et pour son éloquence, fonda une messe à perpétuité pour remercier Dieu d'avoir conservé la vie du roi qui l'exilait », avec cette note de V* : « L'abbé de Chauvelin »

iv De l'Éducation publique, 1762 . Thieriot disait qu'on ne connaissait pas l'auteur de cet ouvrage édité par Diderot ; on a cité Jean-Baptiste-Louis Crevier ou même Diderot lui-même. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste-Louis_Crevier

http://books.google.be/books?id=d-wNAAAAYAAJ&printsec...

v C'est l'Hymne chanté au village de Pompignan ; http://books.google.be/books?id=2sJCAAAAYAAJ&pg=PA140...

cf. lettre à Mme d'Argental du 9 février .

vi L'Amour paternel ou La Suivante reconnaissante, représentée le 4 février au Théâtre Italien . http://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Goldoni

vii Dupuis et Desronais, comédie de Charles Collé ; cf. lettre à Damilavile du 24 janvier . Représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 17 janvier . http://books.google.be/books?id=FSU_AAAAcAAJ&printsec...

viii C'est le discours de réception à l'Académie Française, prononcé le 22 janvier par l'abbé Voisenon ; il signait « évêque de Montrouge » car il fréquentait la maison du duc de La Vallière à Montrouge. http://www.academie-francaise.fr/immortels/discours_recep...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Henri_de_Fus%C3%A9e_d...

ix Sur ce Le Brun, surnommé Pindare à cause de son ode sur Corneille, et sur ses rapports avec V*, voir lettres à d'Alembert du 18 janvier et Damilavile du 24 janvier : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/16/j...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/01/25/l...

x Tout le monde a tort ou Jugement impartial d'une dame philosophique, sur l'affaire présente des jésuites, 1762, attribué à Claude-Cyprien-Louis Abrassevin, jésuite .

Voir note  page 325 : http://books.google.be/books?id=ozgLAAAAQAAJ&pg=PA325...

 

 

Les libraires sont comme les prêtres, ils se ressemblent tous, il n'y en a aucun qui ne sacrifiât son père et sa mère à un petit intérêt typographique

... Notons bien qu'il ne s'agit pas ici des libraires qui vendent les livres, -gens honorables et que j'aime,- mais au sens ancien, ceux qui éditaient les livres et se fichaient complètement des auteurs . De nos jours, ceux qui se rapprochent le plus de cette définition tranchante de Voltaire, sont les éditeurs de la presse people,  et à scandales, chacals modernes incontestablement .

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

13 février 1763 1

Mme Denis étant malade, le jeune Dupuits et Marie Corneille étant très occupés de leur premier devoir , qui n'est pas tout à fait d'écrire, moi, l'aveugle V. entouré de quatre pieds de neige, je dicte la réponse à la lettre de Mme d'Argental, du 7 de février : et voici comme je m'y prends .

Cujas 2, Charles Dumoulin 3, Tiraqueau 4, n'auraient jamais parlé plus doctement et plus solidement de la validité d'un contrat 5 et nous tombons d'accord de tout ce qu'y disent nos anges . Je n’ai point vu le modèle de consentement paternel que Mme Denis avait envoyé à Mme d'Argental ; elle écrit quelquefois sans daigner me consulter . Je ne sais quel est l'âne qui lui avait donné ce beau modèle de consentement . Le contrat est dressé dans toutes les règles, et le mariage fait dans toutes les formes, les deux amants très heureux, les parents enchantés, et à nos neiges près, tout va le mieux du monde . Ce qu'il y a de bon, c'est que quand même les souscriptions ne rendraient pas ce qu'on a espéré, le conjoint et la conjointe jouiraient encore d'un sort très agréable . Il ne nous reste donc qu'à nous mettre aux pieds de nos anges, et à les remercier du fond de notre cœur .

S'ils veulent s'amuser de cette horrible feuille qui devait tant déplaire à Messieurs, la voici . Elle est un peu contre ma conscience . Je veux bien que le coadjuteur sache qu'on trouve à la feuille suivante, qu'un des messieurs qui avait été traité avec plus de sévérité que les autres, fonda dans son abbaye à perpétuité, une messe pour la conservation du roi 6. J'ai cru ce trait digne d'être remarqué, j'ai cru qu'il peignait nos mœurs, et il y a environ douze batailles dont je n'ai point parlé, Dieu merci, parce que j'écris l'histoire de l'esprit humain, et non pas une gazette .

Je ne doute pas que vous n'ayez la petite addition à l'Histoire générale, sous le nom d’Éclaircissements historiques 7 ; il ne m'importe guère qu'il y en ait un peu ou beaucoup d'exemplaires répandus ; cela n'est bon d'ailleurs que pour un certain nombre de personnes qui sont au fait de l'histoire, le reste de Paris n'étant qu'au fait des romans .

Passons de l'histoire au tripot . Mon avis est que ce carême on donne Zulime suivant la petite leçon que j'ai envoyée ; pendant ce temps-là j'achèverai une belle lettre scientifique sur l'amour, j'entends l'amour du théâtre, dédiée à Mlle Clairon .

Au reste , le débit de Zulime est un très mince objet, et je doute qu’il se trouve un libraire qui en donne cinq cents livres ; encore voudra-t-il un abandon de privilège, comme a fait ce petit misérable Prault, ce qui gêne extrêmement l'impression du théâtre de V. Les libraires sont comme les prêtres, ils se ressemblent tous, il n'y en a aucun qui ne sacrifiât son père et sa mère à un petit intérêt typographique .

Je pense qu'il ne serait pas mal de faire un petit volume de Zulime, Mariamne, Olympie, Le Droit du seigneur 8, et d'exiger du libraire qu'il donnât une somme honnête à Mlle Clairon et à Lekain, soit que ce libraire fût Cramer, soit un autre .

Mais mes anges ne me parlent jamais de ce qui se passe dans le royaume du tripot ; ils ne me disent point si Mlle Dupuis et M. Desronais enchantent tout Paris ; si Goldoni est venu apporter en France la véritable comédie ; si l'opéra-comique est toujours le spectacle des nations ; s'il est vrai qu'il y a deux jésuites qui vendent de l'orviétan sur le Pont-Neuf . Jamais mes anges ne me disent rien ni des livres nouveaux, ni des nouvelles sottises, ni de tout ce qui peut amuser les honnêtes gens ; rien sur l'abbé de Voisenon, rien même sur les Calas, objet très important, dont je n'ai aucune notion depuis huit jours . Cela n'empêche pas que je ne baise avec transport le bout des ailes de mes anges .

Nous demandons pardon à mes anges des ratures de mon épître, mais je suis accablé d'affaires .

V. »

1 L'édition de Kehl donne par mégarde Damilaville pour correspondant, et omet le dernier paragraphe, ainsi que les éditions suivantes .

2 Jacques Cujas, savant éditeur du Corpus juris civilis, et autres recueils de lois . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Cujas

et : http://data.bnf.fr/13008755/jacques_cujas/

3 Dumoulin est un fameux historien du droit français, souvent cité à côté de Barthole ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dumoulin

et : http://data.bnf.fr/12198126/charles_du_moulin/

4 André Tiraqueau est l'auteur de traités de jurisprudence ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Tiraqueau

et : http://data.bnf.fr/12095542/andre_tiraqueau/

6 Ce passage fut ultérieurement transféré au chapitre XXXVII du Précis du siècle de Louis XV ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Pr%C3%A9cis_du_si%C3%A8cle_de_Louis_XV/Chapitre_37

7 Ceux-ci sont signalés comme imprimés par une lettre d'un des inspecteurs de la librairie, Picquet, à Malesherbes, le 29 janvier 1763 .

8 V* reprit l'idée dans la lettre du 21 février 1763 à d'Argental [http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-8.html ] et il y revint , et il semble ( voir lettre du 13 juin 1763 au même ) que le volume parut finalement, ne comprenant qu'Olympie, Zulime et Le Droit du seigneur . C'est peut-être le Supplément aux œuvres dramatiques de Voltaire, in-8°, mentionné par Quérard dans sa Bibliographie voltairienne , 1842 , voir : https://books.google.ru/books?id=Zu8-AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

On m’envoie ces rogatons de Paris

... Ah ! l'art contemporain ! grand pourvoyeur de merdouilles rogatonesques ( ou comment faire n'importe quoi avec des fonds de poubelles )

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Pas étonnant,  après n'avoir fait que des colliers de nouilles pour la fête des mères

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 12 février 1763]

On m’envoie ces rogatons 1 de Paris . Je vous prie caro d’en faire tirer une quarantaine d'exemplaires petits caractères . Cela vous amusera pendant que je corrigerai la première feuille de la Tolérance, laquelle feuille j'attends depuis huit jours . »

1Peut-être s'agit-il de l'Hymne chanté au village de Pompignan : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/poesie-hymne-chante-au-village-de-pompignan.html

Je suis entièrement à vos ordres et je n'ambitionne que de vous consoler et de vous servir

... Plus haut ! 

https://www.youtube.com/watch?v=AQW3d_H_IcM

 

 

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« A Catherine-Josèphe de Loras du Saix, baronne de Monthoux 1

Du courage, madame, cette vie est pleine de malheurs 2, c'est le partage de l'humanité .

Mme Denis est malade, je deviens aveugle et c'est ce qui fait que je ne peux avoir l'honneur de vous écrire de ma main . Si je perds la vue je ne perdrai jamais les sentiments qui m'attachent à vous . Je suis entièrement à vos ordres et je n'ambitionne que de vous consoler et de vous servir . Mme Denis vous en dit autant .

J'ai l'honneur d'être, avec beaucoup de respect, madame, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme de la chambre du roi.

12 février 1763, à Ferney . »

2 Le baron de Monthoux est mort le 25 janvier 1763 .