Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/02/2018

C'est surtout dans la conversation qu'on peut faire beaucoup de bien, et je m'en rapporte à vous ; ne manquez pas de convertir toutes les femmes qui vous tomberont sous la main

... Voltaire a fort bien compris le pouvoir de la parole et les immenses capacités de diffusion des idées par les femmes . Féministe sans le savoir, infiniment réaliste assurément .

 

 

« [Destinataire inconnu]

[28 février 1763] 1

Je me suis toujours douté,monsieur, que l'expulsion des jésuites ferait le même effet que votre ancienne réforme, on ne secoue une tyrannie que pour être tyran, on se croit obligé d’être austère quand on a combattu une prétendue morale relâchée . Les jésuites étaient bons à quelque chose, parce qu'on pouvait se moquer d'eux impunément . Les pédants qu'on va mettre à leur place, feront une affaire d’État des ridicules qu'on leur donnera , et qu'ils mériteront . Nous avons autant de peine à approcher des Anglais qu'à leur résister . Dieu merci, il nous reste le pape, c'est quelque chose , et [à] la première sottise que fera la cour de Rome, on verra la philosophie d'élever sur ses ruines .

Le malheur jusqu'à présent , de nos philosophes de Paris, est de ne s'y être pas bien pris, et d'avoir paru attaquer la morale plutôt que la superstition . Je voudrais que nous fussions tous comme les rose-croix et quVoltairee nous ne communiquassions 2 qu'aux adeptes . J'ai vu par exemple, des ouvrages édifiants et utiles, comme le Sermon des cinquante, le Testament de Jean Meslier, le drame anglais de Saül et David, circuler entre deux ou trois cents personnes tout au plus, et faire un très bon effet pour la plus grande gloire de Dieu . C'est surtout dans la conversation qu'on peut faire beaucoup de bien, et je m'en rapporte à vous ; ne manquez pas de convertir toutes les femmes qui vous tomberont sous la main .

Je vous remercie tendrement de tout ce que vous avez fait pour notre infortunée Calas, cela est digne de votre âme . Je me flatte qu'elle n'aura été secourue à Paris que par des philosophes ; je ne voudrais pas de l'argent des dévots, je leur dirais que votre aumône périsse avec vous .

Mme Dupuits vous est très obligée de tout ce que vous faites pour augmenter sa dot, heureusement la voilà très bien établie ; et encore mieux traitée par l'amour que par la fortune ; jamais femme n'a été physiquement mieux aimée, son bonheur me réjouit , et me fait rire, il n'en est pas de même de Mme Denis qui est très malade depuis plus d'un mois et qui n'a pu être de la noce . Si je voulais je rirais aussi un peu moins, car je deviens aveugle . Je crois que Pertharite, Agésilas et Suréna, m'ont donné ma fluxion . Savez-vous que l'Académie en corps a signé au contrat de mariage de Mlle Corneille 3? Jamais officier de dragons ne s'est trouvé à pareille fête . Que le contrôleur général donne ce qu'il voudra et comme il voudra, nous attendrons patiemment, nous ne sommes ni pressés, ni pressants . Le roi s'est expliqué, il donnera environ dix mille livres, et la famille Corneille se trouvera très bien de vos soins généreux .

Vous me ferez un plaisir extrême, monsieur, de me mander tout de que vous apprendrez des Calas . J'attends beaucoup de M. de Crosne ; le genre humain est intéressé dans cette affaire ; la plus abominable superstition a fait rouer un père de famille, il est temps d’étouffer ce monstre qui a causé plus de maux que la peste de Marseille .

On dit que les libraires de l'Encyclopédie sont divisés par le principe qui divise tout, par l'intérêt, et que cet intérêt plus funeste qu'Omer de Fleury, arrête absolument l'impression . J'en suis très fâché, cet ouvrage ne devait jamais être imprimé à Paris .

Je vous embrasse de tout mon cœur, et sans cérémonie comme sans date, cela n'est bon à rien . »

1 Date complétée par une main contemporaine sur le manuscrit original . Besterman remarque avec raison que cette lettre ne sonne pas tout à fait juste . On se demande si elle a été réellement dictée par V* . Certes, quelques phrases du quatrième paragraphe nous paraissent de bon aloi, mais le refus de dater est bizarre .

2 La copie porte communiassions, qui n'est satisfaisant ni pour la forme ni pour le sens .

3 Charles Pinot-Duclos a répondu à la demande de V* : « Extrait des registres de l'Académie française ./ Le 19 février 1763 ./ L'Académie a autorisé son secrétaire à signer au contrat de mariage de Mlle Corneille au nom de la compagnie ; bien entendu que si quelque autre académicien signe au contrat,ce sera comme particulier, et non comme membre de l'Académie, tous les académiciens étant compris dans la signature du secrétaire . / Duclos secrétaire ./En conséquence de la délibération ci-dessus j'autorise monsieur de Voltaire à signer à ma place. À Paris le 19 février 1763 ./Duclos secrétaire. [...] »