11/04/2012
Me voilà, avec mes quatre cheveux gris, chargé d'une fille qui embarrasserait un jeune homme. Il arrivera malheur
Je n'ai pas d'embarras plus préoccupant que quatre cheveux gris qui veulent furieusement déserter !
NDLR - Cette photo n'est pas contractuelle .
"Lumières", quand on vous chante : http://www.youtube.com/watch?v=ivjyz91DDXI
C'est plus que beau !
« A M. le comte de CHOISEUL.
Aux Délices, ou soi-disant telles, 29 octobre [1755]
Je vous remercie, monsieur, de M. Palissot 1, et de toutes vos bontés. J'en suis un peu indigne. Je n'ai point verni mes cinq magots chinois comme je l'aurais voulu. Je viens d'envoyer à M. d'Argental ce que j'ai pu quoique j'aie à présent l'esprit assez triste, je ne l'ai pourtant point tragique. Cette maudite Pucelle, qui m'a souvent fait rire, me rend trop sérieux. Je crains que les âmes dévotes ne m'imputent ce scandale, et la crainte glace la poésie. La Pucelle de Chapelain n'a jamais fait tant de bruit. Me voilà, avec mes quatre cheveux gris, chargé d'une fille qui embarrasserait un jeune homme. Il arrivera malheur. Vous ne sauriez croire quel tort Jeanne d'Arc a fait à l'Orphelin. de la Chine. Je ne manquerai pas de vous envoyer, monsieur, le recueil de mes rêveries, dès qu'il sera imprimé. Je conviens que Lambert a négligé l'Orphelin autant que moi. N'aurait-il point aussi quelque Pucelle à craindre ? Je ne sais plus à quel saint me vouer. Je trouverai toujours dans mon chemin saint Denis, qui me redemandera son oreille, saint Georges, à qui j'ai coupé le bout du nez 2, et surtout saint Dominique, cela est horrible. Les mahométans ne me pardonneront pas ce que j'ai dit de Mahomet. Il me reste la cour de Pékin mais c'est encore la famille des conquérants tartares. Je vois qu'il faudra pousser jusqu'au Japon. En attendant, monsieur, conservez-moi à Paris des bontés qui me sont plus précieuses que les faveurs d'Agnès et le pucelage de Jeanne. »
1 Voir la lettre du 1er décembre 1755 à Palissot ; page 514 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411354g/f517.image.r=.langFR
c'est la première adressée à Palissot dans la Correspondance, et il est nommé ici pour la première fois. http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Palissot_de_Montenoy
2 La Pucelle, chant XI, v. 317.-http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-chant-onzieme-84546933.html
Quant à saint Dominique, Voltaire l'a placé (ch. V, v. 145) en enfer . http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-chant-cinquieme-83760116.html
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Me conseillez-vous de renouveler mes protestations dans quelque journal ?
http://owni.fr/2012/02/20/le-nuage-de-protestations-qui-vient/
http://www.youtube.com/watch?v=eJZbaVGyQ38
Avec Voltaire, "We will be victorious !" , Mam'zelle Wagnière !
« A M. le comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 29 octobre [1755]
Mon cher ange, je vous ai envoyé deux exemplaires de votre Orphelin. Je vous prie de pardonner à ma misère, je devrais avoir mieux répondu aux soins dont vous avez honoré mes Chinois, vous et Mme d'Argental. J'ai rendu compte, autant que je l'ai pu, de ce qui s'est passé entre le quatrième et le cinquième acte; mais je ne sais si j'en ai rendu bon compte 1. Je vous demande en grâce de donner un exemplaire de cette nouvelle fabrique au négligent de Lambert 2, qui devient si impatient quand il s'agit de me faire enrager. Qu'il fasse au moins usage de cet exemplaire, si je ne peux lui en procurer un meilleur. Je vous avoue que l'aventure de la Pucelle m'a mis hors d'état de travailler. Je suis parfaitement instruit qu'elle est imprimée, elle inondera bientôt tout Paris, et je serai à mon âge l'occasion d'un grand scandale. Me conseillez-vous de renouveler mes protestations dans quelque journal ?
Permettez que j'insère sous votre enveloppe un petit mot 3 à M. le comte de Choiseul; je ne sais point sa demeure, et je crains que ma lettre n'aille à quelqu'un de son nom qui n'aurait pas pour moi la même indulgence que lui. J'ai reçu de mon mieux les deux pèlerins 4 que vous m'avez annoncés. Les deux exemplaires de l'Orphelin de la Chine sont partis à l'adresse de M. Dupin, secrétaire de M. d'Argenson; mais j'ai bien peur que Jeanne ne fasse plus de bruit qu'Idamé. Mon cher ange, priez Dieu pour moi. »
1 Voir lettre précédente : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/11/point-de-lieux-communs-sur-la-promesse-de-mourir-sur-des-pri.html
3 Lettre du même jour au comte de Choiseul : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/11/me-voila-avec-mes-quatre-cheveux-gris-charge-d-une-fille-qui.html
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Point de lieux communs sur la promesse de mourir, sur des prières de vivre.
Prières et promesses de vie avec Jacques Loussier dont je suis fan : ça décolle la pulpe !
http://www.youtube.com/watch?v=DxNXtR_ij7Q&feature=fvst
« A M. LE COMTE D'ARGENTAL.
Aux Délices, 26 octobre [1755] 1
Sur des lettres que je reçois de Paris je suis obligé, mon cher ange, de vous supplier très-instamment de faire réciter la scène dernière du quatrième acte comme je l'ai imprimée, en conservant les corrections que j'ai envoyées, et dont on a fait usage à Fontainebleau. Je sais bien, et je l'ai mandé plusieurs fois, qu'il faut dire
Nous mourrons, je le sais (Acte IV, scène vi.)
au lieu de
Tu mourras, je le sais.
mais on me mande que les vers
Cependant du tyran j'irrite la furie;
Je te laisse en ses mains, je lui livre ta vie2;
et
Je m'immole après toi
Je t'en donne ma foi, etc.
jettent un froid mortel sur cette scène. Je te donne ma foi de mourir après toi est pris de Chimène, est touchant dans Chimène, et à la glace dans Idamé. C'est bien cela dont il s'agit! Il n'y a pas là d'amourette. Je veux mourir, cher époux; vis, très chère femme; tout cela est au-dessous d'Idamé et de Zamti. Au nom de Dieu, faites jouer cette scène comme je l'ai faite, en mettant seulementn nous mourrons, au lieu de tu mourras. Point de lieux communs sur la promesse de mourir, sur des prières de vivre.
Non erat his locus (De Art. poet., v. 19. )
La vie n'est rien pour ces gens-là. Je vous en supplie, mon cher ange, ayez la bonté de penser comme moi pour cette fin du quatrième acte. Otez-moi
Cependant du tyran j'irrite la furie.
Je vous écris en hâte, la poste part; cette maudite Pucelle d'Orléans est imprimée, et je suis bien loin d'être en état de refaire mes Chinois. Ils iront comme ils pourront; mais ne refroidissons point cette fin du quatrième acte. Pardon, pardon. »
1 Voir lettre du 25 octobre à Mlle Clairon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/10/rien-n-est-plus-froid-que-des-scenes-ou-l-on-repete-qu-on-mo.html
19:18 | Lien permanent | Commentaires (0)
10/04/2012
Rien n'est plus froid que des scènes où l'on répète qu'on mourra, et où un autre acteur conjure l'actrice de vivre
Pour réchauffer l'ambiance , chaude voix du barytone sax de Jerry Mulligan : http://www.youtube.com/watch?feature=endscreen&NR=1&v=g1uNIXdEN1U
et aussi en duo avec le bandonéon d'Astor Piazzola :
http://www.youtube.com/watch?v=gL0HFlL5LI8&feature=re...
Tête de chat ?
« A mademoiselle CLAIRON.
Aux Délices, 25 octobre [1755]
On me mande qu'on rejoue à Paris cette pièce 1 dont vous faites tout le succès. Le triste état de ma santé m'a empêché de travailler à rendre cet ouvrage moins indigne de vous. Je ne peux rien faire, mais vous pouvez retrancher. On m'a parlé de quatre vers que vous récitez à la fin du quatrième acte
Cependant de Gengis j'irrite la furie
Je te laisse en ses mains, je lui livre ta vie
Mais, mon devoir rempli, je m'immole après toi;
Cher époux, en partant, je t'en donne ma foi.
Je vous demande en grâce, mademoiselle, de supprimer ces vers. Ce n'est pas que je sois fâché qu'on ait inséré des vers étrangers dans mon ouvrage au contraire, je suis très-obligé à ceux qui ont bien voulu me donner leurs secours pendant mon absence mais le public ne peut être content de ces vers, ils ressemblent à ceux que dit Chimène à Rodrigue 2; mais ils ne sont ni si heureux ni si bien placés. Rien n'est plus froid que des scènes où l'on répète qu'on mourra, et où un autre acteur conjure l'actrice de vivre. Ces lieux communs doivent être bannis; il faut des choses plus neuves.
Je vais écrire à M. d'ArgentaI pour le supplier, avec la plus vive instance, de s'unir avec moi pour remettre les choses comme elles étaient. Je peux vous assurer que la scène ne sera pas mal reçue si vous la récitez comme je l'ai faite en dernier lieu. Je n'ai que le temps, mademoiselle, de vous demander pardon de ces minuties, et de vous assurer de tous les sentiments que je vous dois. »
2 A la fin de la scène iv de l'acte III du Cid, Chimène dit à Rodrigue :
Je te donne ma foi
De ne respirer pas un moment après toi.
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Vous m'auriez rendu un très-bon service si vous aviez pu m'en avertir plus tôt
Avant la morsure ?
« A M. Pierre GAMOND le fils, 1
premier valet de chambre
de S. A. R. monseigneur le duc de Lorraine, à Bruxelles 2
Aux Délices, près de Genève, 24 octobre 1755 3
Je reçois, monsieur, votre lettre du 16 octobre; je vous remercie des éclaircissements que vous voulez bien me donner, j'y suis d'autant plus sensible que, n'étant pas connu de vous, je ne devais pas m'attendre à cette attention. J'ai toujours ignoré, monsieur, de qui Jean Néaulme avait acheté les fragments informes d'une prétendue Histoire universelle qu'il a imprimée sous mon nom. Tout ce que je sais, c'est qu'il a fait une très-mauvaise action. Il m'écrivit, pour se disculper, qu'il avait acheté le manuscrit à Bruxelles d'une personne qui appartient à la maison où vous êtes. Il faut bien qu'il m'en ait imposé, puisqu'un nommé Roussel, qui débite en Hollande je ne sais quelle feuille satirique intitulée l'Épilogueur ou le Glaneur, me proposa dans cette feuille de me vendre le même manuscrit cinquante louis. Il n'y avait pas moyen d'accepter un marché proposé si indécemment, surtout lorsque je savais qu'on avait tiré plusieurs copies de cet ouvrage qu'on voulait me vendre. Il me paraît, monsieur, que vous n'avez d'autre part à cette manœuvre indigne que la honte avec laquelle vous m'en informez aujourd'hui. Vous m'auriez rendu un très-bon service si vous aviez pu m'en avertir plus tôt. Le libraire Néaulme est inexcusable d'avoir donné sous mon nom une rapsodie si informe. J'ai dû m'élever, dans toutes les occasions, contre cet abus de la librairie, pour ma propre justification et pour l'intérêt de tous les gens de lettres. L'injustice de ceux qui m'ont accusé moi-même en France d'avoir favorisé la publication de cet ouvrage a été pour moi un nouveau sujet de chagrin et un nouveau motif de faire connaître la vérité et, puisqu'on abuse publiquement de mon nom, c'est au public que je dois m'en plaindre. On m'avertit que les libraires de Hollande continuent ce brigandage, et qu'ils ont imprimé encore sous mon nom la Pucelle d'Orléans. Tout ce que je puis faire, c'est de redoubler mes justes plaintes. Je suis persuadé, monsieur, que vous entrez dans ma peine, puisque vous m'écrivez sur un sujet si triste. Me serait-il permis, monsieur, de vous prier d'ajouter une bonté à l'attention que vous avez eue de m'écrire? Ce serait de présenter, dans l'occasion, mes respects à Son Altesse monseigneur le prince Charles de Lorraine 4. J'ai eu l'honneur, autrefois, de lui faire ma cour à Lunéville. Leurs Majestés l'empereur , son frère et l'impératrice m'ont daigné honorer quelquefois des marques de leur générosité. Ainsi je me flatte que Son Altesse royale ne trouverait pas mauvais que je prisse la liberté de l'assurer de ma vénération et de mon attachement pour sa personne.
Je ne peux finir sans vous répéter combien je suis sensible au soin prévenant que vous avez pris. J'ai l'honneur, monsieur, d'être, avec les sentiments que je vous dois, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
VOLTAIRE,
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi très-chrétien. »
1D'abord homme de chambre du gouverneur général des Pays-Bas Charles de Lorraine, Pierre Gamond, fils d'un tapissier puis contrôleur des garde-meubles de la Cour, devint vers 1754 le premier valet de chambre du prince.
2 Bibliothèque royale de Bruxelles, manuscrit 21575. Sur l'enveloppe, le cachet de Voltaire: d'azur à trois flammes d'or, surmonté d'une couronne comtale. L'envoi de la fin « J'ai l'honneur, etc. », est de la main de Voltaire.
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09/04/2012
On dit : Il est mort, et puis, serre la file; et on est oublié pour jamais
« A M. BERTRAND. 1
24 octobre [1755].
La mort de M. de Giez me pénètre de douleur me voilà banni pour quelque temps de ma maison, où il est mort. Ah! mon cher monsieur, qui peut compter sur un moment de vie ! Je n'ai jamais vu une santé plus brillante que celle de ce pauvre Giez, il laisse une veuve désolée, un enfant de six ans, et peut-être une fortune délabrée, car il commençait. Il avait semé, et il meurt sans recueillir, nous sommes environnés tous les jours de ces exemples. On dit : Il est mort, et puis, serre la file; et on est oublié pour jamais. Je n'oublierai point mon pauvre Giez, ni sa famille. Il m'était attaché, il m'avait rendu mille petits services, je ne retrouverai, à Lausanne, personne qui le remplace. Je vois qu'il
faudra remettre au printemps mon voyage de Berne; c'est être bien hardi que de compter sur un printemps.
Ce capucin 2, digne ou indigne, a été proposer à Francfort son manuscrit de la Pucelle, à un libraire nommé Esslinger; mais il en a demandé un prix si exorbitant que le libraire n'a point accepté le marché; il est allé faire imprimer sa drogue ailleurs. Je crois qu'il la dédiera à saint François.
Une grande dame 3 d'Allemagne m'a mandé qu'elle avait un exemplaire imprimé de cette ancienne rapsodie. Il faut que ce ne soit pas celle de Maubert, car elle prétend que l'ouvrage n'est pas trop malhonnête, et qu'il n'y a que les âmes dévotes à saint Denis, à saint Georges, et à saint Dominique, qui en puissent être scandalisées. Dieu le veuille ! Cet ouvrage, quel qu'il soit, jure bien avec l'état présent de mon âme.
Singula de nobis anni praedantur euntes. (Hor., lib. II, vers 55.) 4
Je ne connais plus que la retraite et l'amitié. Que ne puis-je jouir avec vous de l'une et de l'autre ! Je vous embrasse bien tendrement. »
1 Voir ce qu'il dit à de Brenles le même jour : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/09/je-n-ai-que-deux-jours-a-vivre-en-passerai-je-un-avec-vous.html
2 Maubert de Gouvest, alors calviniste, voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/03/je-n-ai-jamais-rien-vu-de-plus-plat-et-de-plus-horrible-cela.html
3 Probablement Mme de Buchwald, la « grande maîtresse des coeurs » : page 63 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f67.image.r=.langFR
4 Les années qui s’en vont nous dérobent tout, au fur et à mesure ; voir : http://www.anagnosis.org/phil/hor_ep_2_2
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Je n'ai que deux jours à vivre, en passerai-je un avec vous ?
http://www.deezer.com/music/track/714240
http://www.deezer.com/music/track/714245
http://www.deezer.com/music/track/714252
« A M. DE BRENLES.
Aux Délices, 24 octobre [1755]
Qu'est-ce que la vie, mon cher philosophe ? Voilà ce Giez si frais, si vigoureux, mort dans mon pauvre Morion, cela me rend cette maison bien désagréable. J'aimais Giez de tout mon cœur, je comptais sur lui; il m'avait arrangé ma maison de son mieux j'espérais vous y voir incessamment. Sa pauvre veuve mourra peut-être de douleur. Giez était sur le point de faire une fortune considérable; sa famille sera probablement ruinée, voilà comme toutes les espérances sont confondues. Je n'ai que deux jours à vivre, en passerai-je un avec vous ? Quand revenez-vous à Lausanne? Vous seul serez capable de me déterminer à habiter Monrion. Je suis bien incapable de répondre aux vers flatteurs de Mme de Brenles; le chagrin étouffe le génie. On me mande de de tous côtés que la Pucelle est imprimée, mais on ne me dit point où; tout ce que je sais, c'est que ce galant homme de capucin 1 en a proposé treize chants à Francfort à un libraire nommé Esslinger; mais il voulait les vendre si cher que le libraire a refusé le marché; il est allé les faire imprimer ailleurs. Saint François d'Assise vous a envoyé là un bien vilain homme. Mme Denis et moi, nous vous assurons de notre tendre attachement , nous en disons autant à Mme de Brenles.
V. »
1Voir lettre à de Brenles du 29 juillet : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/03/j...
http://www.deezer.com/music/track/714267
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