05/06/2012
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir
... Tout comme cette pomme en devenir qui ne paye pas de mine, velue comme un ours, hérissée comme un Barbidur, dure comme l'âme d'un mafioso .
« A M. BERTRAND 1
Aux Délices, 7 mars 1756.
En arrivant, mon cher et humain philosophe, à mes petites Délices, j'ai été instruit des plaintes injustes que forme ici un libraire. Je conçois que tout libraire doit aspirer à vous imprimer, mais que ceux de votre pays doivent avoir la préférence. Ensuite on vous imprimera partout. J'attends avec la plus grande impatience votre dissertation sur les tremblements de terre 2. Vous connaissez si bien les montagnes que vous devez connaître aussi les cavernes. Vous nous instruirez sur tous les recoins de notre habitation, et principalement sur le grand architecte qui l'a bâtie. Je reviendrai le plus tôt que je pourrai à mon petit ermitage de Monrion, après quoi je compte venir vous apporter à Berne et soumettre à votre jugement et à celui de M. le banneret de Freudenreich mes rêveries dont vous avez voulu voir l'ébauche. Vous verrez que j'aurai profité de vos sages et judicieuses réflexions.
Il est vrai que des vers ne sont que des vers, c'est-à-dire des bagatelles difficiles, dans lesquelles on ne s'exprime pas toujours comme on voudrait. Je vous supplie de ne montrer à personne ces misères. Votre prose me dégoûte un peu de la poésie. Il est honteux à mon âge de songer à des rimes. Je ne dois penser qu'à vivre obscur et tranquille et à mourir avec confiance dans la bonté infinie de notre commun maître, dont vous parlez si noblement. Je vous embrasse bien tendrement.
V.
Je reçois dans ce moment cette brochure sur les tremblements de terre. Je me flatte avec raison que vous nous donnerez des conjectures plus satisfaisantes. Cette dissertation me ramène encore au tout est bien 3.
Je sais que dans nos jours consacrés aux douleurs,
Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs.
Mais le plaisir s'envole et passe comme une ombre;
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes, sont sans nombre,
Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir;
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir,
Si la nuit du tombeau détruit l'être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion;
Les sages me trompaient, et Dieu seul a raison 4, etc.
Voilà à peu près comme je voudrais finir, mais il est bien difficile de dire en vers tout ce qu'on voudrait. Ayez la bonté de communiquer cette esquisse à votre respectable ami. Voici de beaux jours, je ne m'en porte pas mieux. Conservez votre santé et aimez-moi.
V. »
2 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lie_Bertrand
et : http://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9moires_historiques_e...
4 Ces vers se retrouvent à la fin de ce poème. Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8me_sur_le_d%C3%A9sastre_de_Lisbonne
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