Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/03/2019

faites comme il vous plaira, il faut que chacun suive sa vocation, je n’en ai aucune pour jouer de la harpe

...

 

« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis

18è février 1764 à Ferney 1

Il y a longtemps, monseigneur, que j’hésite à vous envoyer ce petit conte . Mais comme il m’a paru un des plus propres et des plus honnêtes, je passe enfin par-dessus tous mes scrupules ; vous verrez même, en le parcourant, que vous y étiez un peu intéressé ; et vous sentirez combien je suis fâché de ne pouvoir vous nommer. Votre Éminence a beau dire que le sacré-collège n’est pas heureux en poètes 2, j’ai dans mon portefeuille des choses qui feraient honneur à un consistoire composé de Tibulles ; mais les temps sont changés . Ce qui était à la mode du temps des cardinaux Du Perron 3 et Richelieu ne l’est plus aujourd’hui . Cela est douloureux.

Je ne sais si Votre Éminence est au Plessis ou à Paris ; si elle est à la campagne, c’est un vrai séjour pour des contes . Si elle est à Paris, elle a autre chose à faire qu’à lire ces rapsodies. On m’a dit que vous pourriez bien être berger d’un grand troupeau ; si cela est, adieu les belles-lettres. Je ne combattrai pas l’idée de vous voir une houlette à la main ; au contraire, je féliciterai vos ouailles, et je suis bien sûr que vos pastorales seront d’un autre goût que celles du Puy en Velay ; mais j’avoue qu’au fond de mon cœur j’aimerais mieux vous voir la plume que la houlette à la main. J’ai dans la tête qu’il n’y a personne au monde plus fait par la nature, et plus destiné par la fortune, pour jouir d’une vie charmante et honorée, que vous l’êtes . Toutes les houlettes du monde n’y ajouteront rien, ce ne sera qu’un fardeau de plus : mais faites comme il vous plaira, il faut que chacun suive sa vocation, je n’en ai aucune pour jouer de la harpe 4 dont vous m’avez parlé ; cet instrument ne me va pas, j’en jouerais trop mal. 

Tu nihil invita dices faciesve Minerva.5

J’ai été enchanté que vous ayez retrouvé à Versailles votre ancienne amie 6 ; cela lui fait  bien de l’honneur dans mon esprit. Je suppose que M. Duclos, notre secrétaire, est toujours très attaché à Votre Éminence. Il a le petit livre de la Tolérance ; je vous demande en grâce de le lire et de le juger.

Je n’ai plus de place que pour mon profond respect et mon tendre attachement.

Le vieux de la montagne. »

1 Bernis a écrit à V* le 26 janvier 1764 .

2 C'est à peu près ce que dit Bernis dans une lettre du 7 octobre 1763 ; en refusant de faire lui-même des vers, il ajoute : »Je crois que l'étiquette du sacré collège est fort contraire à la poésie française ; car il me semble que le cardinal Du Perron et celui de Richelieu ont fait de forts mauvais vers . »

3 Sans être poète lui-même, cet excellent prosateur, le cardinal Du Perron a traduit Les Épîtres d'Ovide, 1616, et Partie du premier et quatrième livre de l'Enéïde de Virgile, 1614 .

4 Faire des psaumes ou des hymnes .

5 Sans Minerve, tu ne diras ou feras rien de bon ; Horace , Art poétique .

6 Mme de Pompadour .

Les commentaires sont fermés.