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04/12/2019

Par là ils invitent le parlement à donner de nouveaux arrêts ; ils embouchent la trompette de la persécution 

... Tel est le sentiment que j'ai à l'écoute des syndicats appelant à la grève , vrais Caliméros "ô c'est trop inzuste !" et Satanas, tout à tour . Je n'y vois rien de constructif .

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

19 d'octobre [1764]

Non, vous ne brairez point, mon cher et grand philosophe, mais vous frapperez rudement les Welches, qui braient 1. Je vous défie d’être plus indigné que moi de la maligne insolence de ces malheureux, qui, dans leurs lettres sur l’Encyclopédie 2, vous ont attaqué si mal à propos si indignement et si mal. Je voudrais bien savoir le nom de ces ennemis du sens commun et de la probité. Ils sont assez lâches pour réimprimer à la fin de leur livre les arrêts du conseil contre l’Encyclopédie. Par là ils invitent le parlement à donner de nouveaux arrêts ; ils embouchent la trompette de la persécution ; et, s’ils étaient les maîtres, il est sûr qu’ils verseraient le sang des philosophes sur les échafauds.

Vous souvenez-vous en quels termes s’exprima Omer dans son réquisitoire ? On l’aurait pris pour l’avocat-général de Dioclétien et de Galérius : on n’a jamais joint tant de violence à tant de sottises. Il prétendait que, s’il n’y avait pas de venin dans certains articles de l’Encyclopédie, il y en aurait sûrement dans les articles qui n’étaient pas encore faits . Les renvois indiquaient visiblement les impiétés des derniers volumes ; au mot Arithmétique, voyez Fraction ; au mot Astre, voyez Lune ; il était clair qu’aux mots Lune et Fraction la religion chrétienne serait renversée : voilà la logique d’Omer.

Votre intérêt, celui de la vérité, celui de vos frères, ne demande-t-il pas que vous mettiez dans tout leur jour ces turpitudes, et que vous fassiez rougir notre siècle en l’éclairant ?

Il vous serait bien aisé de faire quelque bon ouvrage sur des points de philosophie intéressants par eux-mêmes, et qui n’auraient point l’air d’être une apologie ; car vous êtes au-dessus d’une apologie. Vous exposeriez au public l’infamie de ces persécuteurs ; vous ne mettriez point votre nom, mais ils sentiraient votre main, et ils ne s’en relèveraient pas. Permettez-moi de vous parler encore de ce Dictionnaire portatif ; je sais bien qu’il y en a peu d’exemplaires à Paris, et qu’ils ne sont guère qu’entre les mains des adeptes. J’ai empêché jusqu’ici qu’il n’en entrât davantage, et qu’on ne le réimprimât à Rouen ; mais je ne pourrai pas l’empêcher toujours. On le réimprime en Hollande. Vous me demandez pourquoi je m’inquiète tant sur un livre auquel je n’ai nulle part : c’est qu’on me l’attribue, c’est que par ordre du roi le procureur-général prépare actuellement un réquisitoire ; c’est qu’à l’âge de soixante et onze ans, malade, et presque aveugle, je suis prêt à essuyer la persécution la plus violente ; c’est qu’enfin je ne veux pas mourir martyr d’un livre que je n’ai pas fait. J’ai la preuve en main que M. Polier, premier pasteur de Lausanne, est l’auteur de l’article Messie ; ainsi c’est la pure vérité que ce livre est de 3 plusieurs mains, et que c’est un recueil fait par un libraire ignorant.

Par quelle cruauté a-t-on fait courir sous mon nom, dans Paris, quelques lignes de cet ouvrage ? Enfin, mon cher maître, je vous remercie tendrement d’élever votre belle voix contre celle des méchants. Je vous avertis que je serais très fâché de mourir sans vous revoir.

N.B. – Un abbé d’Estrées 4, jadis confrère de Fréron, a donné un Portatif au procureur-général. »

1 D'Alembert concluait sa lettre du 10 octobre 1764 par :  « Adieu, mon cher confrère, soyez tranquille, comptez que je vais braire comme un âne ... » , voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/02/correspondance-avec-d-alembert-partie-33.html

2 Lettres sur l’Encyclopédie, pour servir de supplément aux sept volumes de ce dictionnaire (par l’abbé Saas). L’Encyclopédie, comme on l’a vu, avait été arrêtée au septième volume. (Georges .Avenel.)

3Ce de est omis dans l'édition Besterman .

4 Jacques Destrées, dont parle V* dans les Honnêtetés littéraires, XVIII