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20/02/2021

Je suis affligé des sottises que font certains corps ; ils se mettent évidemment dans le cas d’avoir tort quand ils auront raison

... C'est en effet ce qui est le lot de notre parlement, sénat, administration, police, justice, éducation nationale, etc., tous corps qui apportent chacun leur tour leurs âneries et excès pour complexifier un champ des lois disproportionné . Trop c'est trop , le pinaillage révolte et fait rejeter même le nécessaire .

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« Ã Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

26è octobre 1765 1

Je vous obéis toujours ponctuellement, mon divin ange ; mais c’est quand je le peux. Votre dernière lettre du 19 octobre, qui, par parenthèse, est charmante, me remontre mon devoir sur deux ou trois points d’Adelaïde. Vous verrez, par la feuille suivante2, que mon devoir est rempli, bien ou mal.

Les quatre vers que vous regrettez, et qui commencent : Il faut à son ami montrer son injustice3, sont déjà restitués, et je les ai envoyés à Lekain, à qui je vous prie de faire tenir ce nouveau brimborion .

Comme il faut a son ami montrer son injustice, vous croyez donc me montrer la mienne en prenant partie contre les filles4, et vous trouvez bon qu’on les empêche d’aller où vous savez, c’est-à-dire en Russie ? Je conçois bien qu’il n’est pas permis d’enrôler des soldats et de débaucher des manufacturiers ; mais je vous assure que les filles majeures ont le droit de voyager, et que la manière dont on en a usé avec un seigneur envoyé par Catherine est directement contre les lois divines, humaines, et même genevoises. J’en ai été d’autant plus piqué que M. le comte de Schouvaloff, très-intéressé dans cette affaire, était alors chez moi.

Je vous assure de plus que je n’ai jamais vécu avec les membres du Conseil de la parvulissime république de Genève : car, excepté les Tronchin et deux ou trois autres, ce tripot est composé de pédants du XVIe siècle. Il y a beaucoup plus d’esprit et de raison dans les autres citoyens. Au reste, vient chez moi qui veut, je ne prie personne ; Mme Denis fait les honneurs, et moi je reste dans ma chambre, condamné à souffrir ou à barbouiller du papier ; les visites me feraient perdre mon temps ; je n’en rends aucune Dieu merci . Les belles et grandes dames, les pairs, les intendants même, se sont accoutumés à ma grossièreté. Il n’est pas en moi de vivre autrement, grâce à ma vieillesse et à mes maladies.

Mme la comtesse d’Harcourt se fera porter dans un lit à la suite de Tronchin dans quelques jours . Elle pouvait se remuer quand elle vint ici, elle ne se remue plus ; on déposera son lit sous des hangars ou des remises, de cabaret en cabaret, jusqu’à Paris. Je voudrais bien en faire autant qu’elle, uniquement pour vous faire ma cour, et pour jouir de la consolation de vous revoir. Mon cœur vous l’a dit cent fois, et il est dur de mourir sans avoir causé avec vous. Mais j’ai avec moi un parent5 qui, quoique jeune, est réduit à un état pire, sans comparaison, que celui de Mme d’Harcourt. Il a besoin de nos secours journaliers. Comment l’abandonner ? comment laisser ma petite Corneille grosse de six mois ? Je me dis, pour m’étourdir : ce sera pour l’année qui vient ; belle chimère ! l’année qui vient je serai mort, et les dévots riront bien quand je serai damné.

Je soupçonne que si M. le duc de Praslin se dégoûte d’un tracas qui n’est qu’un fagot d’épines, s’il est assez philosophe pour rester ministre avec la liberté de vivre avec ses amis et de jouir de ses belles possessions, M. de Chauvelin vous consolera. Il est parti bien brusquement de Turin, comme vous savez, et comme vous saviez sans doute avant qu’il partît. J’ai été confondu qu’il n’ait pas pris son chemin par mes masures ; mais il m’a mandé qu’il était très-pressé, et moi j’ai été très fâché de ne pouvoir lui rendre mes hommages à son passage.

Vos Welches gâtent tout, ils détériorent jusqu’à l’inoculation. Ces choses-là n’arrivent point en Angleterre. Je suis bon Français, quoi qu’on die6 . Je suis affligé des sottises que font certains corps ; ils se mettent évidemment dans le cas d’avoir tort quand ils auront raison.

Adieu, mon divin ange ; Mme Denis vous fait mille tendres compliments, et vous savez combien je vous idolâtre !

Que devient Mme d’Argental pendant votre absence ?

Voltaire. »

1 L'édition de Kehl suivant la copie Beaumarchais omet dans quelques jours au début du cinquième paragraphe .

2 Feuillet joint à la lettre .

3 Ce vers est dans le Duc de Foix, acte II, scène iv ; mais il n’est pas dans la version actuelle d’Adélaïde, ni dans les variantes ; on lit aujourd’hui, acte IV, scène v : Quand un ami se perd il faut qu’on l’avertisse, etc. . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Am%C3%A9lie,_ou_le_Duc_de_Foix

6 Femmes savantes, Ac. III, sc. 2, de Molière .