Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/06/2023

Ainsi en usent tous nos grands seigneurs . Leurs affaires sont aussi embrouillées que celles du roi . Comme je ne suis pas grand seigneur, les miennes sont fort nettes ; mais aussi personne ne me paie, et tout le monde se moque de moi

...Une pétition pour préserver les ressources des personnes handicapées -  Faire Face - Toute l'actualité du handicap

C'est du passé récent .

 

 

« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy

7è décembre 1767 à Ferney

Mon cher magistrat, vous ne ressemblez pas à ce conseiller de grand-chambre qui, étant prié d'arranger les affaires de sa famille, répondit qu'il n’entendait pas les affaires . Vous me paraissez les entendre fort bien ; vous n'avez point de négligence quoique votre notoriété vous mette en droit d'être paresseux .

Vous verrez par l'aide authentique que je vous envoie qu'il est nécessaire que vous me donniez un petit mot de ratification conjointement avec votre mère et le gros abbé .

De plus il est nécessaire que vous préveniez les chicanes de nos seigneurs les fermiers généraux des domaines . Ils pourraient très bien vous faire payer les droits d'insinuation que vous ne devez pas ; ou essayer de vous dépouiller de vos rentes sous prétexte que l'acte n'a ni été contrôlé , ni insinué . Il n'a point été contrôlé parce qu'il a passé en Alsace où le contrôle n'a point lieu . Il n'a point été insinué parce qu'on n'insinue que les donations et les substitutions ; et que cet acte ne porte aucun de ces caractères .

Votre mère s'arrangea avec moi il y a quelques années ; et c'est en vertu de cet arrangement que vous avez tous trois de ce chef chacun deux mille livres de rente immédiatement après ma mort indépendamment de ce qui vous revient d'ailleurs . Il faut donc qu'en ratifiant cet acte vous ayez la bonté de spécifier que l'argent a été fourni en partie par par vous trois, selon les conventions faites entre nous . En effet, ma nièce votre mère m'a fourni de l'argent comptant dans un de ses voyages ; et c'est cet argent qui a servi de base à ce contrat . Il est inutile de spécifier la somme .

Vous pouvez dire en deux mots, vous, Mme de Florian et l'abbé Mignot, que vous ratifiez l'acte pour la passation duquel vous avez tous trois fourni les deniers dont la rente vous est assurée .

Je suppose que vous êtes majeur, et, quand vous ne le seriez pas, je crois que votre signature autorisée par Mme de Florian et l'abbé Mignot est très valable dans le cas dont il s'agit .

Mme de Florian étant à la campagne, vous pourrez aisément lui envoyer un modèle de procuration ; moyennant quoi, l'abbé Mignot ou vous signerez pour elle .

Cette petite formalité étant expédiée, voici une autre affaire que je confie à votre prudence et à votre amitié, bien sûr que vous ne me refuserez pas vos bons offices . Il y a dans le monde un abbé de Blet 1, prieur de je ne sais où, gentilhomme poitevin attaché depuis longtemps au maréchal de Richelieu . Il s'est chargé de débrouiller les affaires de la maison par pur attachement . C'est un homme sage, honnête et exact . M. le maréchal me doit une somme assez considérable . Elle sera selon M. de Laleu d'environ quarante-deux mille livres au mois de janvier, et selon M. l'abbé de Blet elle ne sera que d'environ vingt-sept . La raison de cette différence est probablement que le commissionnaire chargé du recouvrement par M. de Laleu, n'a point compté avec lui de toute sa recette .

Je vous supplierais donc premièrement d'éclaircir cette difficulté, et de savoir ensuite de M. de Blet comment et dans quel temps il pourra me satisfaire, en m’envoyant des lettres de change sur Lyon .

Ce même M. de Blet s'est chargé aussi des arrangements concernant la succession du prince et de la princesse de Guise, dont M. le duc de Fronsac est petit-fils et héritier par sa mère .

J'avais contribué beaucoup au mariage de M. le duc de Richelieu avec Mlle de Guise en prêtant au prince de Guise le sourdaud, vingt-cinq mille livres dont il me fit une rente viagère de deux mille cinq cents livres 2, croyant que je mourrais dans l'année .

Ce fut au contraire le sourdaud qui mourut . L'auguste princesse sa femme, sur les biens de laquelle ma rente fut hypothéquée mourut aussi . Sa fille , la duchesse de Richelieu, en fit autant, et me voici en vie encore pour quelques mois .

La succession se partage entre M. le duc de Fronsac et M. le prince de Beauvau, M. de Fronsac parce qu'il est petit-fils , M. de Beauvau parce qu’il a épousé une petite-fille .

Tout ceci posé, il faut savoir que cette succession me doit environ dix-huit mille livres, et au mois de janvier plus de vint mille livres . J'entends toujours toutes impositions déduites . L'abbé de Blet ne refusera pas d'entrer en conférence avec vous . Vous verrez ce que je peux et ce que je dois faire, et vous me fournirez s'il en est besoin, un avocat et un procureur, qui ne demeurant pas, s'il est possible, fort loin de l'hôtel de Richelieu où demeure M. l'abbé de Blet, et qui ne dédaignent pas de me rendre compte du succès de cette entremise, soit entremise de simple considération, soit entremise juridique .

Il faut vous dire que dans cette affaire le duc de Fronsac agit en son propre nom, et le prince de Beauvau au nom de ses enfants mineurs . Ainsi je soupçonne qu'il y a du juridique dans l'arrangement de cette succession .

Voici de plus ce qui est arrivé, et ce qui pourrait me nuire . Mon hypothèque pour les deux mille cinq cents livres de rente était spécialement établie sur la terre de Monjeu . Cette terre a été vendue, et je ne sais ce qui est advenu de mon hypothèque .

J'ai eu la même aventure avec M. le maréchal de Richelieu ; il a tant retourné, tant saboulé son bien, que mon hypothèque avec lui est à tous les diables . Ainsi en usent tous nos grands seigneurs . Leurs affaires sont aussi embrouillées que celles du roi .

Comme je ne suis pas grand seigneur, les miennes sont fort nettes ; mais aussi personne ne me paie, et tout le monde se moque de moi 3.

Il n'en sera pas ainsi de vous, et les bagatelles déléguées irrévocablement sur des fermiers de Franche-Comté, ne souffriront jamais de retardement . Je m'arrange actuellement en Franche-Comté ; je compte sur votre amitié pour être arrangé à Paris . Je vous demande pardon d'une si longue lettre et de tant de fatras, mais les fatras d'affaires sont l'élément d'un conseiller de la cour .

Sur ce, mon cher neveu, je vous embrasse le plus tendrement du monde .

V. »

1 Il est question de cet abbé de Blet dans une lettre de Richelieu à V* du 12 novembre 1767 ; c'est une sorte d'intendant du duc . Voir : « Blet, abbé, correspondant de Voltaire, XV 74 » https://societe-voltaire.org/cv-index.php

2 Somme ajoutée de la main de V* .

3 Ces mots et tout le monde se moque de moi sont une addition manuscrite de V*.

Les commentaires sont fermés.