21/04/2010
le malheureux plaisir que vous vous êtes toujours fait de vouloir humilier tous les autres hommes
Pour fêter à ma manière l'année franco-russe et la chute du mur de l'incompréhension :
http://www.myvideo.de/watch/5066050/Its_a_long_way_to_Tipperary
Soit dit en passant, mais ne le répétez à personne, pas de manifestation pour célébrer au château de Volti sa liaison (épistolaire) avec Catherine II !
Bast' ! N'épiloguons plus !!
Lettre dont le brouillon autographe porte de nombreuses corrections .
« A Frédéric II
Au château de Tournay par Genève
21 avril 1760
Sire,
Un petit moine de Saint-Just [couvent où s’était retiré Charles Quint] disait à Charles–Quint : Sacrée Majesté, n’êtes–vous pas lasse d’avoir troublé le monde ? faut-il encore désoler un pauvre moine dans sa cellule ? Je suis le moine, mais vous n’avez pas renoncé aux grandeurs et aux misères humaines comme Charles-Quint ? Quelle cruauté avez-vous de me dire que je calomnie Maupertuis [lettre du 3 avril ] quand je vous dis que le bruit a couru qu’après sa mort on avait trouvé les œuvres du philosophe de Sans-Souci dans sa cassette ?[rumeur, dont The Scots magazine s’est fait l’écho ; c’est sans doute le chevalier de Bonneville qui en avait vendu le manuscrit, éditées à Lyon chez Bruyset le 17 janvier 1760 ] Si en effet on les y avait trouvées cela ne prouverait-il pas au contraire qu’il les avait gardées fidèlement, qu’il ne les avait communiquées à personne, et qu’un libraire en aurait abusé, ce qui aurait disculpé des personnes qu’on a peut-être injustement accusées [J.-M. Bruyset et de Bonneville ont été emprisonnés à Pierre-Encise le 6 février]? Suis-je d’ailleurs obligé de savoir que Maupertuis les avait renvoyées ? Quel intérêt ai-je à parler mal de lui ? que m’importe sa personne et sa mémoire ? en quoi ai-je pu lui faire tort en disant à Votre Majesté qu’il avait gardé fidèlement votre dépôt jusqu’à sa mort ? Je ne songe moi-même qu’à mourir, et mon heure approche. Mais ne la troublez pas par des reproches injustes, et par des duretés qui sont d’autant plus sensibles que c’est de vous qu’elles viennent.
Vous m’avez fait assez de mal. Vous m’avez brouillé pour jamais avec le roi de France, vous m’avez fait perdre mes emplois [historiographe] et mes pensions, vous m’avez maltraité à Francfort, moi et une femme innocente, une femme considérée qui a été trainée dans la boue et mise en prison [en 1753 ; cf. lettres du 20 juin et 7 juillet 1753], et ensuite en m’honorant de vos lettres vous corrompez la douceur de cette consolation par des reproches amers. Vous m’avez reproché au sujet du médecin Tronchin [V* avait écrit que Théodore Tronchin refusait d’aller soigner à domicile le prince Ferdinand , 29 juin 1759] que j’avais reçu de vous une pension. Est-il possible que ce soit vous qui me traitiez ainsi quand je ne suis occupé depuis trois ans qu’à tâcher quoique inutilement de vous servir sans aucune autre vue que celle de suivre ma façon de penser ? [en servant d’intermédiaire dans les négociations de paix, par l’entremise du cardinal de Tencin et de la margravine de Bayreuth fin 1757-début 1758, et avec l’aide de la duchesse de Saxe-Gotha]
Le plus grand mal qu’aient fait vos œuvres, c’est qu’elles ont fait dire aux ennemis de la philosophie répandus dans toute l’Europe : les philosophes ne peuvent vivre en paix, et ne peuvent vivre ensemble. Voici un roi qui ne croit pas en Jésus-Christ, il appelle à sa cour un homme qui n’y croit point, et il le maltraite. Il n’y a nulle humanité dans les prétendus philosophes, et Dieu les punit les uns par les autres. Voilà ce que l’on dit, voilà ce que l’on imprime de tous les côtés, et pendant que les fanatiques sont unis, les philosophes sont dispersés et malheureux, et tandis qu’à la cour de Versailles et ailleurs on m’accuse de vous avoir encouragé à écrire contre la religion chrétienne c’est vous qui me faites des reproches et qui ajoutez ce triomphe aux insultes des fanatiques. Cela me fait prendre le monde en horreur avec justice. J’en suis heureusement éloigné dans mes domaines solitaires. Je bénirai le jour où je cesserai en mourant d’avoir à souffrir par vous, mais ce sera en vous souhaitant un bonheur dont votre position n’est peut-être pas susceptible et que la philosophie seule pourrait vous procurer dans les orages de votre vie, si la fortune vous permet de vous borner à cultiver uniquement ce fond de sagesse que vous avez en vous, fond admirable mais altéré par les passions inséparables d’une grande imagination, un peu par l’humeur, et par des situations épineuses qui versent du fiel dans vôtre âme, enfin par le malheureux plaisir que vous vous êtes toujours fait de vouloir humilier tous les autres hommes, de leur dire, de leur écrire des choses piquantes d’autant plus indignes de vous que vous êtes plus élevé au-dessus d’eux par votre rang et par vos talents uniques. Pardonnez à ces vérités que vous dit un vieillard qui a peu de temps à vivre,[le 14 mai, V* écrit à la duchesse de Saxe-Gotha : « Je crois mon commerce fini avec le chevalier Pertrizet (= Frédéric). J’ai pris la liberté de lui dire tout ce que j’avais sur le cœur, mon âge, mon ancienne liberté, les malheurs auxquels je m’expose m’ont autorisé et m’ont peut-être conduit trop loin . »] et il vous les dit avec d’autant plus de confiance que convaincu lui-même de ses misères et de ses faiblesses infiniment plus grande que les vôtres. Il gémit des fautes que vous pouvez avoir faites autant que des siennes, et il ne veut plus songer qu’à réparer avant sa mort les écarts funestes d’une imagination trompeuse, en faisant des vœux sincères pour qu’un aussi grand homme que vous, soit aussi heureux et aussi grand en tout qu’il doit l’être. »
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