Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/08/2010

Les langages, à mon gré, sont comme les gouvernements, les plus parfaits sont ceux où il y a le moins d'arbitraire

http://www.deezer.com/listen-5113357



 

 

« A Pierre-Jean-Jacques-Guillaume Guyot


7è auguste 1767, à Ferney


Il est très certain, Monsieur, que la France manque d'un bon Vocabulaire [Guyot fut un des auteurs du Grand Vocabulaire français, 1767-1774]; l'Espagne [Diccionario de la lengua castellana … compuesto por la real Academia española, 1726-1739] et l'Italie [Vocabulario degli accademici della Crusca, 1612] en ont, tous les mots y sont marqués avec leur étymologies, leurs significations propres et figurées, avec des exemples tirés des meilleurs auteurs dans les différents styles . Il faut remarquer surtout qu'en espagnol et en italien, on écrit comme on parle. Tout cela est à désirer dans nos dictionnaires. Notre écriture est perpétuellement en contradiction avec notre prononciation. Il n'y a point de raison, pour laquelle je croiois, j'octroiois, doivent s'écrire ainsi, quand on prononce je croiais, j'octroiais [cette graphie en ai ne sera adoptée par l'Académie qu'en 1835. V* pense qu'on reconnaît ses publications à cette graphie]. Le second oi ne doit pas être plus privilégié que le premier. Du temps de Corneille on prononçait encore je connois, et même on retranchait l's. Vous voyez dans Héraclius :


Qu'il entre ; à quel dessein vient-il parler à moi,

Lui que je ne vois point, qu'à peine je connoi ?

[on prononçait wé]



On ne souffrirait point aujourd'hui une pareille rime puisque l'on prononce je connais.



Notre langue est très irrégulière. Les langages, à mon gré, sont comme les gouvernements, les plus parfaits sont ceux où il y a le moins d'arbitraire. Il est bien ridicule que d'augustus on ait fait aoust, de pavonem, paon, de Cadomum, Caen, de gustus, goût . Les lettres retranchées dans la prononciation prouvent que nous parlions très durement ; ces mêmes lettres que l'on écrit encore sont nos anciens habits de sauvages.



Que de termes éloignés de leur origine ! Pédant qui signifie instructeur de la jeunesse est devenu une injure . De fatuus qui signifiait prophète on a fait un fat [en latin, fatuus avec un a long est, selon Varron, un mot du vocabulaire religieux archaïque qui désigne le Devin ; mais fatuus avec un a bref signifie ou fade, ou extravagant et en substantif désigne le fou, le bouffon]. Idiot qui signifiait solitaire ne signifie plus qu'un sot [en grec ce mot était employé au sens de « simple, ignorant, vulgaire » (à partir du sens de « simple particulier ») ; en latin ça désigne « qui n'est pas connaisseur, profane, ignorant »].



Nous avons des architraves et point de trave, des archivoltes et point de volte en architecture, des soucoupes après avoir banni les coupes, on est impotent et on n'est point potent, il y a des gens implacables et pas un de placable. On ne finirait pas si on voulait exposer tous nos besoins. Cependant notre langue se parle à Vienne, à Berlin, à Stokolm, à Copenhague, à Moscou. Elle est la langue de l'Europe, mais c'est grâce à nos bons livres et à la régularité de notre idiome. Nos excellents artistes ont fait prendre notre pierre pour de l'albâtre.



J'attends, Monsieur, votre Vocabulaire pour fixer mes idées et je vous remercie par avance de votre politesse et de vos instructions. »

 

Les commentaires sont fermés.