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16/09/2010

Il me sera impossible de refaire la scène d'Ève et du serpent, à moins que le diable lui-même ne vienne m'inspirer

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

16è septembre 1769

 

Je réponds, mon cher ange, à vos lettres du 4 et du 9. Vous devez actuellement avoir reçu par M. Marin la tragédie des Guèbres, avec les additions que le jeune auteur [i] à faites.

 

Lekain a joué à Toulouse Tancrède, Zamore [ii], et Hérode [iii] avec le plus grand succès. La salle était remplie à deux heures. On dit la troupe fort bonne ; plusieurs amateurs ont fait une souscription assez considérable pour la composer. Cette troupe a donné Athalie avec la musique des chœurs, et on me demande des chœurs pour toutes mes pièces. Les spectacles adoucissent les mœurs, et quand la philosophie s'y joint la superstition est bientôt écrasée. Il s'est fait depuis dix ans dans toute la jeunesse de Toulouse un changement incroyable. Sirven s'en trouvera bien. Il verra que votre idée de venir se défendre lui-même était la meilleure, mais plus il a tardé plus il trouvera les esprits bien disposés. Vous voyez qu'à la longue les bons livres font quelque effet, et que ceux qui ont contribué à répandre la lumière n'ont pas entièrement perdu leur peine.[iv]

 

On me presse d'aller passer l'hiver à Toulouse [v]. Il est vrai que je ne peux plus supporter les neiges qui m'ensevelissent pendant cinq mois de suite , au moins, mais il se pourra bien faire que Mme Denis vienne affronter auprès de moi les horreurs de nos frimas, et celles de la solitude et de l'ennui avec un pauvre vieillard qu'il est difficile de transplanter.

 

M. de Chimène [vi] m'a mandé que M. le maréchal de Richelieu avait mis Les Guèbres sur le répertoire de Fontainebleau ; je crois qu'il s'est trompé, car M. de Richelieu ne m'en parle pas. Il a assez de hauteur dans l'esprit pour faire cette démarche, et ce serait un grand coup. Les tribuns militaires vont au spectacle, et les prêtres de Pluton n'y vont point ; la raison gagnerait enfin sa cause, ce qui ne lui arrive pas souvent.

 

Je vois bien que je perdrai la mienne auprès de M. le duc d'Aumont [vii]. Il me sera impossible de refaire la scène d'Ève et du serpent, à moins que le diable lui-même ne vienne m'inspirer. Je suis à présent aussi incapable de faire des vers d'opéra que de courir la poste à cheval. Je prends mon parti sur Pandore, ce spectacle aurait pu être une occasion qui m'aurait fait faire un petit voyage que je désire depuis longtemps [viii], et que vous seul, mon cher ange, me faites désirer. Quand je vous dis seul, j'entends Mme d'Argental et vous ; mais encore une fois je ne suis pas heureux.

 

Adieu, mon très cher ange ; pardonnez à un pauvre malade, si je ne vous écris pas plus au long.

 

V. »

 

i V*.

ii Zamore, personnage d'Alzire.

iii Dans Hérode et Mariamne.

iv L'année précédente l'abbé Audra lui a écrit qu'il avait contribué aux progrès de la tolérance à Toulouse, en particulier chez les jeunes.

v Antoine Darquier de Pellepoix, auquel il répondait le 5 août, lui proposait de passer l'hiver à Toulouse pour diriger des représentations théâtrales, et en particulier « essayer quelques chœurs de tragédie ».

vi Le marquis de Ximenes.

vii Le 9 août, au duc d'Aumont, V* a demandé de faire jouer l'opéra de Pandore quand il « donnerait des fêtes » à marie-Antoinette en l'honneur de son mariage avec le dauphin.

viii Évidemment, un voyage à Paris ; il avait écrit au duc d'Aumont en lui demandant de faire jouer Pandore : « L'idée de paraître encore une fois devant vous avant de mourir semble consoler ma vieillesse, et j'aurais cette espérance si vous m'accordiez la grâce que j'ose vous demander » et de plus en terminant : « Et si la chose réussissait, je serais à portée alors d'avoir la consolation et l'honneur de venir vous faire mes remerciements et de revoir quelques amis que vous aimez... »

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