17/09/2010
plus on a voulu l'avilir, et plus j'ai voulu l'élever.
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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet , comtesse d'Argental
17 septembre 1765
Mes divins anges, je vois bien que je ne connaissais pas encore ce public inconstant que je croyais connaitre. Je ne me doutais pas qu'il dût approuver avec tant de transports ce qu'il avait condamné avec tant de mépris [i]. Vous souvenez-vous qu'autrefois lorsque Vendôme disait à la dernière scène : Es-tu content Coucy ? Les plaisants répondaient : Couci-couci ? J'ai retrouvé ici dans mes paperasses deux tragédies d'Adélaïde ; elles sont toutes deux fort différentes, et probablement la troisième qu'on a jouée à la Comédie diffère beaucoup des deux autres. Je fais toujours mon thème en plusieurs façons. Il est à croire que Lekain fera imprimer à son profit cette Adélaïde qu'on vient de représenter ; mais je pense qu'il conviendrait qu'il m'envoyât une copie bien exacte, afin qu'en la conférant avec les autres je pusse en faire un ouvrage supportable à la lecture, et dont le succès fût indépendant du mérite des acteurs. C'est sur quoi je vous demande vos bons offices auprès de Lekain, car je vous demande toujours des grâces.
A l'égard des Roués [ii], j'attends toujours votre paquet et vos ordres ; le petit jésuite a sa préface toute prête, mais il dit qu'il ne faut pas s'attendre à de grands mouvements de passion dans un triumvir, et que cette pièce est plus faite pour des lecteurs qui réfléchissent que pour les spectateurs qu'il faut animer. Il sait de plus que le pardon d'Octave à Pompée ne peut jamais faire l'effet du pardon d'Auguste à Cinna, parce que Pompée a raison et que Cinna a tort, et surtout parce que ceux qui sont venus les premiers ne laissent point de place à ceux qui viennent les seconds.
Je sais bien que j'ai été un peu trop loin avec Mlle Clairon,[iii] mais j'ai cru qu'il fallait un tel baume sur les blessures qu'elle avait reçues au Fort-l'Evêque [iv]. Elle m'a paru d'ailleurs aussi changée dans ses mœurs que dans son talent ; et plus on a voulu l'avilir, et plus j'ai voulu l'élever.
J'espère qu'on me pardonnera un peu d'enthousiasme pour les beaux-arts. J'en ai dans l'amitié, j'en ai dans la reconnaissance.
Je vous fais, mes divins anges, les plus sincères remerciements de la bonté que vous avez eue de me procurer des éclaircissements de la part de M. de Sainte-Foix [v]. Je n'ose l'en remercier lui même, de peur de l'engager à une réponse qui lui ferait perdre un temps précieux ; mais je me flatte que quand vous le verrez vous voudrez bien l'assurer des sentiments que je lui dois. Je me doutais bien que ce M. de Barrau [vi] était un homme nécessaire au ministère par ses connaissances.
Je soupçonne que la place de résident à Genève [vii] est actuellement donnée in petto, par M. le duc de Praslin. Je ne vous avais proposé M. Astier [viii] qu'en supposant que M. le duc de Praslin le favoriserait, mais je ne serai pas assez effronté pour demander à M. le duc de Choiseul qu'il force la main au ministre des Affaires étrangères ; je dois être modeste dans mes sollicitations, et tout ce que j'ose demander actuellement pour M. Fabry, maire de la ville de Gex, c'est que je puisse l'assurer de votre protection. »
i Adélaïde du Guesclin avait été reprise le 9 septembre et Thiriot, le 10, parlait de « triomphe ».
ii Octave ou le Triumvirat, prétendu écrit d' « un petit jésuite ».
iv Sur le conflit à la Comédie française et l'emprisonnement de Mlle Clairon, cf. les lettres du 24 avril à Damilaville et 6 juillet aux d'Argental.
v Le 23 août il a chargé les d'Argental de demander à Sainte-Foix ( en poste aux Affaires étrangères) « s'il y a eu un traitement et des honneurs affectés à cette place, et si Jean-Jacques Rousseau en a joui lorsqu'il accompagna M. de Montagu dans son ambassade à Venise » en 1743-1744. La polémique avec Rousseau sur ce point va s'envenimer ; cf. lettre du 7 novembre 1766.
vi Barrau-Taulès qui avait fait d'intéressantes remarques sur Le Siècle de Louis XIV et qui allait venir à Genève avec l'envoyé de France, de Beauteville.
vii Montpéroux est mort le 7 septembre.
viii V* dès le 23 août recommandait aux d'Argental « M. Astier, commissaire de la marine en Hollande, c'est un philosophe et de plus un homme très sage et très aimable. »
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