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14/10/2010

je penche à présent assez pour la démocratie, malgré mes anciens principes

Note rédigée le 28 août 2011 pour parution le 14 octobre 2010 .

 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

 

14è octobre 1765

 

J'adresse cette lettre en droiture à celui de mes anges qui va à Fontainebleau, et à tous les deux, s'ils y vont tous deux . Je leur certifie d'abord que j'ai fait mettre à la poste de Lyon l'Adélaïde 1 dont Roscius Lekain paraissait si pressé . Cette voie lui épargnera tout juste la moitié des frais . La petite préface est jointe à la pièce corrigée . On a tâché de suivre en tout les idées des anges ; et il est à souhaiter qu'on joue la pièce à Fontainebleau, conformément à cette leçon .

 

Dieu merci, le petit ex-jésuite 2 a du temps pour faire battre Auguste et Julie à coups de langue, pour qu'ils se donnent chacun leur reste , de quatrain en quatrain, et de vers en vers, si faire se peut . Mais il faut être inspiré pour cela, on ne se donne pas l'inspiration . Nous avons une édition in-4° à conduire,3 et tous nos ouvrages à corriger afin de ne pas mourir intestat . Cette besogne absorbe le temps, fatigue l’âme et lui ôte tout son enthousiasme .

 

Je suis toujours à vos pieds pour mes dîmes,4 et quelque chose qui arrive je ne sens que l'obligation que je vous aurai . C'en est une très grande de vous devoir l'amitié de M. Hennin 5. Il trouvera les affaires un peu brouillées, et de toutes les brouilleries c'est sans doute la moins intéressante ; car il importe fort peu pour la France que Genève soit aristocratique ou démocratique 6. Je vous avoue que je penche à présent assez pour la démocratie, malgré mes anciens principes, parce qu'il me semble que les magnates 7 ont eu tort dans plusieurs points ; un de ces torts des plus inexcusables est l'affaire de l'impératrice de Russie 8. Les magnates, avec qui je me trouve lié pour mes dîmes 9, ont depuis quelque temps des façons que la République romaine aurait avouées ; elle [sic] n'a pas rendu le moindre petit honneur à M. le duc de Randan, gouverneur de la province voisine, qui est venu voir Genève avec vingt officiers du régiment du Roi . Les vingt-cinq du Petit conseil se sont avisés de prendre un titre de nobles seigneurs, la tête leur a tourné comme à M. de Pompignan . Cependant, toute la fortune de Genève consiste dans l'argent qu'elle a tiré de la France en faisant la contrebande , en contrefaisant le sceau de la Compagnie des Indes, et en faisant parfois de la fausse monnaie . Un de leurs gains a été de prendre des rentes viagères, et de les mettre sous un nom de baptême commun à toute une famille, de sorte que cinq ou six personnes ont joui l'une après l'autre de la même rente . Monsieur le contrôleur général a été obligé de les forcer à rapporter leurs extraits baptistaires et leurs signatures .

 

Quand je vous dirai que cette petite ville a, par tous ces moyens, acquis quatre millions de rente sur la France, vous serez bien étonnés . Mais le ministre des Finances est très instruit de toutes ces vérités ; et il ne serait pas mal que le ministre des Affaires étrangères 10 en fût instruit aussi ; mais Dieu nous préserve que ce digne ministre prenne la résolution dont je vous parlais dans ma dernière lettre, j'en serais si fâché que je ne veux point le croire .

 

Je suis encore persuadé que dans les pays étrangers on fait Monseigneur le Dauphin beaucoup plus malade qu'il ne l'est . Vous savez à quel point la renommée est exagératrice .

 

Pour les querelles du parlement et du clergé, je pense bien qu'on n'exagère pas, et j'espère que 11... »


2 Le prétendu auteur de Octave ou Le Triumvirat .

3 Edition de ses Œuvres complètes datées de 1768 .

4 Ce sont toujours les dîmes réclamées par le curé de Ferney .

5 Il doit devenir le nouveau résident de France

6 Les Genevois étaient divisés en quatre classes : « les citoyens » nés à Genève de citoyens ou de bourgeois ; « les bourgeois » natifs ou habitants naturalisés ; « les natifs » descendants d'habitants ; « les habitants » étrangers autorisés à résider . Seules les deux premières catégories avaient des droits politiques et des avantages économiques . Dans cette minorité privilégiée un petit nombre de « patriciens » détenaient la réalité du pouvoir . En 1765, et déjà auparavant on avait essayé de modifier le régime ; les partisans de la démocratisation étaient appelés « les représentants » parce qu'ils présentaient souvent des « représentations » ; les autres étaient appelés « les négatifs » parce qu'ils refusaient les représentations .

Voir lettre du 19 juillet 1763 à la duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/07/19/ce-pauvre-diable-traine-une-vie-miserable-et-le-pape-est-sou.html

7 Les patriciens.

8 Précédemment, V* a écrit aux d'Argental que l'impératrice « daignait faire venir quelques femmes de Genève pour montrer à lire et à coudre à de jeunes filles de Pétersbourg , que le Conseil de Genève a été assez fou et assez tyrannique pour empêcher des citoyennes libres d'aller où il leur plaît et assez insolent pour faire sortir de la ville un seigneur envoyé par cette souveraine » (Bülow).

9 C'est à dire qu'ils sont concernés comme lui quand les dîmes sont revendiquées par le clergé.

10 Duc de Choiseul-Praslin.

11 Dans le manuscrit, la fin manque .

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