11/02/2012
je ne serai que damné. Cela est injuste, car je le suis un peu dans ce monde
Damned ! Volti ...!
Damné :
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« A madame Marie-Elisabeth de FONTAINE
A Paris.
18 juin [1755]
Vraiment, ma chère nièce, vos ouvrages1 me consoleront bien des miens; nous les attendons avec impatience par M. Tronchin2. Plût à Dieu que vous eussiez pu les apporter vous-même ! Vous ornez notre solitude, en attendant que vous nous y rendiez heureux . Nous avons béni Dieu, et fait notre compliment au digne bénéficier 3. L’Église est sa vraie mère 4; elle lui donne plus qu'il n'a de patrimoine mais je ne serai point content qu'il ne soit évêque. Pour moi, je vois bien que je ne serai que damné. Cela est injuste, car je le suis un peu dans ce monde. Quelle étrange idée a passé dans la tête de notre ami 5! Je suis bien loin du dessein qu'il m'attribue mais je voudrais vous envoyer la véritable copie6. Il est vrai qu'il n'y a pas tant de draperie que dans vos portraits mais aussi ce ne sont pas les figures de l'Arétin. Darget ne devrait pas avoir cet ouvrage. Il n'en est possesseur que par une infidélité atroce. Les exemplaires qui courent ne viennent que de lui. On en a offert un pour mille écus à M. de La Vallière, et c'est M. le duc de La Vallière lui-même qui me l'a mandé.
Tout cela est fort triste mais ce qui l'est bien davantage, c'est ce que vous me dites de votre santé7. Il est bien rare que le lait convienne à des tempéraments un peu desséchés comme les nôtres. Il arrive que nos estomacs font de mauvais fromages qui restent dans notre pauvre corps, et qui y sont un poids insupportable. Cela porte à la tête, les maudites fonctions animales vont mal, et on est dans un état déplorable. Je connais tous les maux, je les ai éprouvés, je les éprouve tous les jours, et je sens tous les vôtres. Dieu vous préserve de joindre les tourments de l'esprit à ceux du corps ! Si vous voyez notre ami, je vous supplie de le bien relancer sur la belle idée qu'il a eue ; c'est précisément le contraire qui m'occupe. Je cherche à désarmer les mains qui veulent me couper la gorge, et je n'ai nulle envie de me la couper moi-même. Darget m'écrit8, à la vérité, que son exemplaire ne paraîtra pas; mais peut-il empêcher que les copies qu'il a données ne se multiplient ? Adieu je tâcherai de ne pas mourir de douleur, malgré la belle occasion qui s'en présente. Je vous embrasse, vous et votre fils 9, de tout mon cœur. »
1 Douée pour le dessin, cette nièce de V* lui offrit des pastels pour « ses petites Délices » . En ce temps-là, elle se partageait entre son domaine de Hornoy, et l'hôtel d'Herbouville à Paris . Voir lettre du 23 février : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/11/25/je-suis-de-toutes-les-nations.html
2 Jean-Robert Tronchin, banquier à Lyon qui s'occupait des affaires de V*, et que V* chargeait de nombreuses commissions .
3 L'abbé Mignot : Alexandre-Jean des Aunais reçu les ordres mineurs et obtint les bénéfices de l'abbaye de Scellières (près de Troyes).
5 Le marquis Claris de Florian, amant de Marie-Elisabeth de Fontaine depuis 1753, oncle du chevalier de Florian (que V* nommera Florianet, futur « neveu par ricochet », le futur fabuliste), qui était alors au berceau. Le marquis de Florian, appelé par Voltaire « grand écuyer de Cyrus » (V* lui avait montré son projet de char de guerre), dans plusieurs lettres, épousa Mme de Fontaine en 1762 après son veuvage de 1756 ; « vivez heureux neveu et nièce » leur dira V* .
8 Voir lettre de Darget du 1er juin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/01/19/je-suis-enchante-d-avoir-recu-des-marques-de-votre-souvenir.html
9 Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy, deuxième fils de Mme de Fontaine, l'ainé étant mort . V* le nommera « mon gros petit neveu » et le reçut adolescent aux Délices .
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