30/10/2014
Je suis un grand babillard, monsieur ; mais il est si doux de s'entretenir avec vous des sottises du genre humain, et de vous ouvrir son cœur
... Sur le dernier point je suis plus réservé .
« A Bernard-Louis Chauvelin
[14 octobre 1759 ?]1
Pour me dépiquer des malheurs publics et des miens propres ( car je navigue malheureusement dans la barque) je me suis mis à jouer force tragédies et nous gardons des rôles pour madame l'ambassadrice ; nous jouâmes Fanime ces jours passés . La scène est à Saïd, petit port de Syrie . Nous eûmes pour spectateur un arabe qui est de Saïd même 2, qui sait sept ou huit langues, qui parle très bien français, et qui eut beaucoup de plaisir . Savez-vous bien que j'ai eu un autre arabe ? C'est l'abbé d'Espagnac . Pourquoi faut-il qu'un homme coriace soit si aimable? vivent les gens faciles en affaire . La vie est trop courte pour chipoter .
Vous connaissez la belle lettre de Luc où il parle si courtoisement de M. le duc de Choiseul 3. J'ai bien peur que mes Russes n'aient pris aussi une lettre qu'il m'adressait . Cet homme ne ménage pas plus les termes que ses troupes . Il perdra ses États pour avoir fait des épigrammes . Ce sera du moins une aventure unique dans les chroniques de ce monde .
Je suis un grand babillard, monsieur ; mais il est si doux de s'entretenir avec vous des sottises du genre humain, et de vous ouvrir son cœur ; je compte si fort sur vos bontés que je me suis laissé aller . Conservez-moi et madame l'ambassadrice un peu de souvenir et de bienveillance . Je vous avertis que Mme Denis est devenue très digne de jouer les seconds rôles avec Mme de Chauvelin . L'oncle et le nièce sont à ses pieds . Je vous présente mon tendre respect dans la foule de ceux qui vous aiment . »
1 L'édition Kehl a la suite de la copie Beaumarchais et comme les autres éditions amalgame cette lettre à celle du 3 novembre 1760 . il semble que c'est de cette lettre dont il est question dans la lettre du 12 octobre à Jean-Robert Tronchin et Ami Camp ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/28/je-ne-suis-pas-le-chien-du-jardinier-5477946.html
) . On a ici la première lettre conservée parmi celles que V* adressa à Bernard-louis Chauvelin, frère de Louis-Germain, Henri-Philippe et Jacques-Bernard . Un billet no daté du duc de Choiseul à Chauvelin doit remonter à l'époque de la présente lettre : « Il faut que M. Chauvelin passe par Genève, et attende l'arrivée de la pièce pour juger si le seigneur châtelain tient tout ce qu'il promet ; j'en doute, si tant est que l'on puisse douter d'après l'auteur . »
Il y a un léger doute sur les prénoms du destinataire : selon le recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, 1713, il se nommait François-Claude, connu comme chevalier et appelé marquis à partir de 1758 ; le Dictionnaire de biographie française, 1758, confirme et ajoute « alias Bernard-Louis ».
2 Abauzit ? Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Firmin_Abauzit
3 Peut-être l'ironique lettre du 2 juillet 1759 (voir page 135 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f147.image.r=frederic.langFR ), bien que Choiseul n'y soit pas nommé, ou plutôt une autre lettre bien postérieure qui ne nous serait pas parvenue .
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