06/02/2016
qui défend ses vers et sa prose est un sot, qui ne détruit pas la calomnie est un lâche
...
https://www.youtube.com/watch?v=IfyCau4yyBk
« A Claude-Philippe Fyot de La Marche
Aux Délices 6 février [1761]
Monsieur, souffrez que je vous remercie de votre lettre , je la regarde comme un bienfait . Vous y peignez la plus belle âme du monde . Elle mérite bien d'être la plus heureuse . Nous sommes sur le soir d'une bien courte journée, j'espère que cette soirée vous sera très agréable . Si vous ne daignez pas franchir nos montagnes pour venir voir notre délicieux vallon entouré d'horreurs , je descendrai sûrement chez vous du haut du mont Jura, pourvu que je puisse jouir de vos bontés et de votre charmant commerce dans une de nos campagnes . Car sans haïr les hommes je hais les villes . On n'y est point libre , on n'y jouit ni de ses amis ni de soi-même . C'est vous et non Dijon que je veux voir . Je suis à la porte de Genève et je n'y entre jamais .
Vous voyez combien je suis éloigné en tout de ce très bel esprit Fontenelle que vous voulez que je prenne pour modèle . Donnez-moi donc son cœur insensible, donnez-moi son indifférence pour tout ce qui n’était pas l'art de montrer de l'esprit et de se faire valoir 1 . Faites-moi renaître normand . Je suis bien loin d'être dans sa position . Jugez-en par le petit brimborion que je vous envoie . Vous verrez qu'il n'est pas ici question de défendre des Lettres du chevalier d'Her, ou des églogues, ou des dialogues dans lesquels les morts font des pointes . Il s'agit des plus détestables calomnies, il s’agit de parer des coups mortels ; qui défend ses vers et sa prose est un sot, qui ne détruit pas la calomnie est un lâche . Il était réservé au siècle où nous vivons d'accuser d'irréligion tous les auteurs dont on est jaloux . Si on avait laissé faire Lefranc, si on ne l'avait pas couvert de ridicules, l'usage se serait établi de n'être reçu à l'Académie qu'à condition de déclamer contre les philosophes . Il s'élevait une cabale infâme de fanatiques et d'hypocrites . Il a fallu les faire taire . C'est un service que j'ai rendu à l'Académie et aux lettres, et je vous jure que cela ne m'a pas beaucoup coûté .
J'ai fait partir de saint-Claude deux petits ballots et mes rêverie, l'un à monsieur le premier président, l'autre à monsieur le procureur général . Je les suppose arrivés . Je vous supplie monsieur de vouloir bien en donner avis à M. de Quintin 2 quand vous le verrez . Je ne lui écris point . Il ne faut pas de lettres inutiles aux hommes en place . Je ne demande pas que monsieur votre fils m'honore des mêmes bontés que vous, mais je me flatte qu'il en aura toujours un peu . Je sais qu'il est digne du plus respectable et du plus aimable des pères . Daignez ne me pas oublier auprès de M. de Ruffey . Il m'a paru qu'il a un cœur fait pour vous .
Mille très tendres respects .
Votre contemporain V. »
1 Allusion à diverses oeuvres de Fontenelle dont la dernièreest, bien entendu, les Dialogues des morts anciens et modernes , 1683 , de Bernard Le Bovier de Fontenelle ; ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Dialogue_des_morts_%28Fontenelle%29#Dialogues_des_Morts_anciens_avec_des_modernes ) contemporaine des Lettres galantes du chevalier d'Her***; 1683 ( https://books.google.fr/books?id=vXNCAAAAcAAJ&pg=PP7&... ).
2 Sur Quintin, voir lettre du 4 janvier 1761 à Cideville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/04/soyez-gai-vous-dis-je-et-vous-vous-porterez-a-merveilles-5738944.html
21:40 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.