Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/06/2019

Je vous jure que si je le pouvais, si j’étais libre et garçon, je ferais un voyage exprès pour vous voir

... Also sprach Mme Denis au XVIIIè siècle !

Situation  qui semble invraisemblable de nos jours , et pourtant ! Au XXIè siècle, être fille/femme dans une grand part du monde est encore servage assuré, infantilisation inepte, dépendance injustifiable à l'homme, au nom de la tradition née de la religion née de la trouille d'un au-delà hypothétique né de l'ignorance crasse de bipèdes mâles insensés . Jusqu'à quand va-t-on voir cela ? ça n'a que trop duré !

Résultat de recherche d'images pour "servage féminin"

Religion, que d'horreurs tu permets !

 

 

« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville, Ancien conseiller

du Parlement de Rouen

rue Saint-Pierre

à Paris

Et s'il n'y est pas

renvoyez à sa terre de

Launay par Rouen

10è mai 1764 aux Délices 1

Que vous êtes heureux, mon ancien ami, d’avoir conservé vos yeux, et d’écrire toujours de cette jolie écriture que vous aviez il y a plus de cinquante ans ! Votre plume est comme votre style, et pour moi je n’ai plus ni style, ni plume.

Madame Denis vous écrit de sa main , je ne puis en faire autant. Il est vrai que l’hiver passé je faisais des contes, mais je les dictais, et actuellement je peux à peine écrire une lettre. Je suis d’une faiblesse extrême, quoi qu’en dise M. Tronchin ; et mon âme, que j’appelle Lisette, est très mal à son aise dans mon corps cacochyme. Je dis quelquefois à Lisette , allons donc, soyez donc gaie comme la Lisette de mon ami ; elle répond qu’elle n’en peut rien faire, et qu’il faut que le corps soit à son aise pour qu’elle y soit aussi. Fi donc ! Lisette , lui dis-je ; si vous me tenez de ces discours-là, on vous croira matérielle. Ce n’est pas ma faute, a répondu Lisette ; j’avoue ma misère, et je ne me vante point d’être ce que je ne suis pas.

J’ai souvent de ces conversations-là avec Lisette, et je voudrais bien que mon ancien ami fût en tiers ; mais il est à cent lieues de moi, ou à Paris, ou à Launay, avec sa sage Lisette . Il partage son temps entre les plaisirs de la ville et ceux de la campagne. Je ne peux en faire autant . Il faut que j’achève mes jours auprès de mon lac, dans la famille que je me suis faite. Madame Denis, maîtresse de la maison, me tient lieu de femme ; Mlle Corneille, devenue madame Dupuits, est ma fille ; ce Dupuits a une sœur que j’ai mariée aussi, et quoique je sois à la tête d’une grosse maison, je n’ai point du tout l’air respectable.

J’ai été fort affligé de la mort de Mme de Pompadour ; je lui avais obligation ; je la pleure par reconnaissance. Il est bien ridicule qu’un vieux barbouilleur de papier, qui peut à peine marcher, vive encore, et qu’une belle femme meure à quarante ans, au milieu de la plus belle carrière du monde. Peut-être, si elle avait goûté le repos dont je jouis, elle vivrait encore.

Vous vivrez cent ans, mon ami, parce que vous allez de Paris à Launay et de Launay à Paris, sans soins et sans inquiétudes. Ce qui pourra me conserver, c’est le petit plaisir que j’ai de désespérer le marquis de Lézeau. Il est tout étonné de ne m’avoir pas enterré au bout de dix mois. Je lui joue, depuis plus de trente ans, un tour abominable 2. On dit que nous avons un contrôleur-général qui ne pense pas comme lui, et qui veut que tout le monde soit payé.

Bonsoir, mon ancien ami ; soyez heureux aux champs et à la ville, et aimez-moi. »



1Cideville a écrit à V* le 17 avril 1764, commentant longuement Olympie qu’il avait vue « six ou sept fois » ; voir aussi une lettre de Mme Denis à Cideville du 29 mars 1764 : « […] Le mariage de notre petite Corneille réussit à merveille . Son mari l'aime à la folie, ils sont tous deux d'un caractère charmant . J'avais pris aussi une jeune personne sœur de M. Dupuits, qui va avoir dix-sept ans, très jolie et très bon enfant . Je viens de la marier à un maître des comptes de Dole en Franche-Comté ; c'est un homme aimable d'une très jolie figure et qui a du bien . La demoiselle a pour toute fortune dix mille écus, n'ayant plus ni père ni mère . Notre marié se nomme M. de Vaux . Il est arrivé ici il y a quinze jours . Toutes les informations de part et d'autres étaient faites ; un ami commun que j'avais chargé de faire ce mariage l'accompagnait . Bref ils arrivèrent le mercredi, nous avons fait le mariage le mercredi suivant , et nous sommes toujours en noces, tout le pays venant nous faire des compliments . Les nouveaux mariés restent avec nous jusqu'au mois de mai, et puis je leur donnerai ma bénédiction et je crois qu'ils seront très heureux . Voilà mon cher ce qui fait que je n'ai pu vous répondre sur-le-champ . J'ai eu depuis quinze jours un embarras inexprimable, n'ayant pas le temps de respirer . Mon oncle prétend que tous ces mariages le rajeunissent . C'est un grand plaisir que de faire des heureux . Il se porte assez bien , et attend le beau temps avec une impatience extrême . La promenade lui est absolument nécessaire . Êtes-vous content d'Olympie ? Les acteurs jouent-ils bien ? Le spectacle doit en être beau, nous l'avons essayé l'année passée sur notre petit théâtre, elle fit un grand effet . Êtes-vous contente [sic] de Mlle Clairon ? Mlle Dumesnil rend-elle bien Statira ? C’est un beau rôle et celui que j'avais choisi, ne me trouvant pas assez jeune pour rendre celui d’Olympie . Ne serez-vous jamais tenté de voir notre petit théâtre ? Soyez sûr qu'un voyage vous ferait du bien . Thieriot m'avait promis qu'il vous déterminerait . Venez passer un été avec nous . Par Lyon, le chemin est superbe actuellement . Le changement d'air, l'exercice, le plaisir que vous feriez à votre bonne amie, tout concourrait à vous donner de la santé . Croyez qu'on ne cause point à son aise par écrit . Je vous jure que si je le pouvais, si j’étais libre et garçon, je ferais un voyage exprès pour vous voir . Mais je ne peux quitter mon oncle, qui, quoique d'une santé encore assez passable, devient très délicat . Je suis sûre qu'il serait enchanté de vous voir, et si je n'en avais pas les preuves l[es] plus convaincues, je ne vous presserais pas . Vous serez content de ma petite Corneille et de son mari . Ce sont les meilleures petites bonnes gens du monde .[…] Mon oncle qui a toujours répandu des grâces dans la société est plus aimable que jamais, l'âge […] le rendant bien plus doux qu'il n'était autrefois . Savez-vous que nous avons aussi un ex-jésuite, car il n'en est plus d'autre . Nous en avons fait nôtre aumônier . C'est une espèce d'imbécile qui n'y a jamais entendu finesse, et qui a cependant quelque connaissance . Il a régenté vingt ans à Dijon, mais ce que j'en aime le mieux c'est qu'il est grand joueur d'échecs et amuse beaucoup mon oncle . Adieu mon cher ami […] . »

2 Depuis 1733 Lezeau lui verse une rente viagère .

Les commentaires sont fermés.