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19/07/2015

et quand même il ne réussirait pas, ce serait toujours un grand point de gagné , d'avoir été sur les rangs dans les circonstances présentes

...Je vous laisse libres de choisir l'élu -- candidat de votre coeur .

Mis en ligne le 13/11/2020 pour le 19/7/2015

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental

19è juillet 1760 1

Mon divin ange, je peux encore quelquefois penser avec ma tête, mais je ne peux pas toujours écrire avec ma main ; ainsi pardonnez-moi si je vous dis par la main d'un autre que je suis excédé par les travaux de la campagne et par les sottises du Parnasse . Je suis très fort de votre avis ; voilà assez de plaisanteries . Je vous renvoie dès demain Médime et Tancrède . Il y a grande apparence que la copie de Tancrède est encore entre les mains d'un ami de M. le duc de Choiseul ou de madame la duchesse ; que par conséquent cet ami sera fidèle . Tout ce que je peux faire est d'être docile à vos ordres, et de travailler autant que ma pauvre tête le permettra . Si je fais quelque chose dont je suis content je vous l'enverrai ; si j'en suis mécontent, je le jetterai au feu . Bonne volonté et imagination sont deux choses fort différentes ; la terre devient stérile à force d'avoir porté ; si le terrain de Tancrède et de Médime est devenu ingrat, je vous supplie de pardonner au pauvre laboureur .

Il serait pourtant plaisant de présenter la Requête aux Parisiens la veille de L’Écossaise . Il me parait qu'un homme qui prétend la pièce n'est pas anglaise, parce que le bruit a couru qu'il avait été aux galères, est une des bonnes choses des plus comiques qu'on connaisse .

Mon cher ange, vous êtes le maître de tout, et du tragique, et du comique, et surtout de moi, qui suis tantôt l’un tantôt l'autre, fort à votre service . Mais je pense que vous vous moquez un peu de moi , quand vous me dites de proposer à M. le duc de Choiseul l'entrée de M. Diderot à notre Académie ; c'est bien à vous, s'il vous plait , à rompre cette glace ; qui donc est plus à portée que vous de faire sentir à M. le duc de Choiseul, que tous le gens de lettres le béniront ? Qui est plus en droit de lui dire qu'il est important pour lui de faire sentir au public qu'il n'a point persécuté les philosophes ? Je n'ai aucun droit sur M. le duc de Choiseul, et vous les avez tous ; ceux de l'amitié, de la persuasion, de la bienfaisance, de l'à propos ; on pourrait aisément engager Diderot à désavouer les petits ouvrages qui pourraient lui fermer les portes de l'Académie ; nous avons besoin dans cette place d'un homme de lettres ; tout parle en sa faveur, et quand même il ne réussirait pas, ce serait toujours un grand point de gagné , d'avoir été sur les rangs dans les circonstances présentes . Enfin, vous aimez Diderot et la bonne cause, c'est à vous à les protéger .

J'ai une autre grâce à vous demander ; je vous conjure de ne vous jamais servir de votre éloquence auprès de M. le duc de Choiseul en faveur d'un homme qui lui a manqué personnellement et indignement . Quoi ! On renoncerait à ses engagements dans la seule idée de soutenir !... Ici l'auteur s'embarrasse, et ne peut dicter ... il faut, tout malingre qu'il est , qu'il écrive ... oui de soutenir un homme qui dans quatre ans peut se joindre contre nous avec l'Autriche si on lui offre quatre lieues de pays de plus vers le duché de Clèves ? Songez je vous prie ce qui arriverait de nous si Luc avait joint cent cinquante mille hommes à l'armée de la reine de Hongrie il y a dix ans !

Vous ne pouvez à présent manquer à vos engagements sans vous déshonorer, et vous ne gagneriez rien à votre honte . Les Russes et les Autrichiens doivent écraser Luc cette année à moins d'un miracle . Alors l’Électeur de Hanovre, toute la maison de Brunswik tremble pour elle-même, alors George ou son petit-fils est obligé de vous laisser votre morue pour être protégé dans son électorat . Ayez seulement de bonnes troupes, de bons généraux et vous n'avez rien à craindre . Je soutiens que si Luc est perdu vous devenez l'arbitre de l'empire, et que tous les princes sont à vos pieds . Je n'ai point de réponse, je n'ai point d’emplâtre pour l'énorme sottise qu’on a faite de se brouiller avec l’Angleterre avant d'avoir cent vaisseaux, mais il ne tient qu'à vous d'être formidable sur terre . L'avantage que M. le duc de Broglie 2 vient de remporter, présage les plus grands succès . Tout peut finir dans une campagne . Les Anglais ne nous respecteront que quand vous serez dans Hanovre . Tâchez , mon divin ange d'être de ce sentiment . Je vous en prie, je vous en prie, dites à M. le duc de Choiseul qu'il ne doit faire la paix qu'après une campagne triomphante . Je vous en prie .

Le bavard Suisse .

Mille tendres respects à madame d'Argental, remarquez qu'elle se porte toujours mieux en été . »

1 Original autographe à partir de ... Ici l'auteur s'embarrasse . L'édition Supplément au Recueil le date de juin à la suite d'une altération du manuscrit par une main étrangère . La dernière phrase est ajoutée au bas de la quatrième page .

2 Les forces de Broglie, sous le commandement de Saint-Germain, avaient remporté un léger avantage sur celles de Ferdinand à Korbach, près de Cassel le 10 juillet 1760 ; mais elles le reperdirent à Emsdorf le 16 ; la bataille décisive se livrera sur un autre champ de bataille, à Dresde .

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