29/05/2021
Chaque siècle a ses vices dominants . Je crois que la calomnie est celui du nôtre
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Réseaux sociaux que de mal on fait grâce [sic] à vous !
« A André-Guillaume Contant d'Orville 1
A Ferney 11è février 1766
Je reçus hier, monsieur, le premier volume du recueil que vous avez bien voulu faire 2; il était accompagné d’une lettre en date du 24è décembre dernier. Je me hâte de vous remercier de votre lettre, du recueil, de l’épître dédicatoire à Mme la comtesse de Buturlin 3, et de l’avis de l’éditeur 4. Ce sont autant de bienfaits dont je dois sentir tout le prix. Vous m’avez fait voir que j’étais plus ami de la vertu, et même plus théologien que je ne croyais l’être. Il y a bien des choses que la convenance du sujet et la force de la vérité font dire sans qu’on s’en aperçoive ; elles se placent d’elles-mêmes sous la main de l’auteur. Vous-avez daigné les rassembler, et je suis tout étonné moi-même de les avoir dites.
Il faut avouer aussi que ceux qui m’ont persécuté ne doivent pas être moins étonnés que moi. Votre recueil est un arsenal d’armes défensives que vous opposez aux traits des Frérons, et des lâches ennemis de la raison et des belles-lettres.
Ma vieillesse et mes maladies m’avaient fait oublier presque tous mes ouvrages . Vous m’avez fait renouveler connaissance avec moi-même. Je me suis retrouvé d’abord dans tout ce que j’ai dit de Dieu. Ces idées étaient parties de mon cœur si naturellement que j’étais bien loin de soupçonner d’y avoir aucun mérite. Croiriez-vous, monsieur, qu’il y a eu des gens qui m’ont appelé athée ? C’est appeler Quesnel moliniste. Chaque siècle a ses vices dominants . Je crois que la calomnie est celui du nôtre ; cela est si vrai que jamais on n’a dit tant de mal de Bayle que depuis une trentaine d’années. L’insolence avec laquelle on a calomnié le Dictionnaire encyclopédique est sans exemple. Le malheureux 5 qui fournit des mémoires contre cet important ouvrage poussa l’absurdité jusqu’au point de dire que, si on ne découvrait pas le venin dans les articles déjà imprimés, on le trouverait infailliblement dans les articles qui n’étaient pas encore faits 6. Cela me fait souvenir d’un abbé Desfontaines, écrivain de feuilles périodiques, qui, en rendant compte du Minute Philosopher du célèbre Barclay, évêque de Cloane, crut, sur le titre, que c’était un livre de plaisanteries contre la religion, et traita le vieil évêque de Cloane comme un jeune libertin, sans avoir lu son ouvrage 7.
Ce Desfontaines a eu des successeurs encore plus ignorants et plus méchants que lui, qui n’ont cessé de calomnier les véritables gens de lettres. Jamais la philosophie n’a été plus répandue, et jamais cependant elle n’a essuyé de plus cruelles injustices. Ce sont ces injustices mêmes qui augmentent l’obligation que je vous ai.
Je ne sais, monsieur, si Mme de Buturlin, à qui vous me dédiez, est sœur de M. le comte de Voronzoff, que j’ai eu l’honneur de voir chez moi, et qui est actuellement ambassadeur à la Haye . Je vous supplie de vouloir bien lui présenter mes respects.
J’ai l’honneur d’être avec la plus sincère reconnaissance, monsieur, votre. »
1 André-Guillaume Contant Dorville, né à Paris en 1730, mort avant 1820. Voir : https://data.bnf.fr/fr/11994425/andre-guillaume_contant_d_orville/
2 Les Pensées philosophiques de M. de Voltaire, 1766, deux volumes in-8°, ou deux volumes in-12 ; on lit sur les faux-titres : Voltaire portatif. On fit de nouveaux frontispices en 1776, du moins pour le format in-12. Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8546541
3 Les Pensées philosophiques sont dédiées À Son Excellence Mme la comtesse de Butturlin, née comtesse de Woronzoff, ambassadrice de Russie en Espagne. Elle est l'épouse du comte Pyotr Jona Alexandrovitch Buturlin, ministre plénipotentiaire en Espagne de 1762 à 1766 .
4 N'étant pas nommé, il doit s'agir de d'Orville .
5 Abraham Chaumeix, auteur des Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie, voir page 115 de la lettre du 23 décembre 1760 à Capacelli : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1760/Lettre_4387
6 Voltaire a fait usage de ce trait dans ses Dialogues chrétiens ; voir page 9- : https://books.google.fr/books?id=_yEI9g4I10UC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=137&f=false
et : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome24.djvu/147
7 Voir page 385 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome22.djvu/403
et : page 369 et suiv. : https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2001_num_33_1_2425
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