03/08/2022
il y a même une espèce de ridicule à débiter avec emphase l’éloge d’un homme qu’on n’a jamais vu
... Et nos hommes politiques, de tous grades, s'adonnent à l'exercice sans frémir, avec plus ou moins d'hypocrisie . Que ne prennent-ils exemple sur Pierre Desproges et Guy Bedos , autrement plus couillus qu'eux : https://www.huffingtonpost.fr/culture/video/guy-bedos-mor...
« A Louis-Elisabeth de La Vergne, comte de Tressan
À Ferney, 28 février [1767]
Votre souvenir m’a bien touché, monsieur, et votre ouvrage 1 a fait sur moi l’impression la plus tendre. Voilà comme je voudrais qu’on fît les oraisons funèbres. Il faut que ce soit le cœur qui parle ; il faut avoir vécu intimement avec le mort qu’on regrette.
C’étaient les parents ou les amis qui faisaient les oraisons funèbres chez les Romains. L’étranger qui s’en mêle a toujours l’air charlatan ; il y a même une espèce de ridicule à débiter avec emphase l’éloge d’un homme qu’on n’a jamais vu. Mais où sont les courtisans dignes de louer un bon roi ? il n’y a peut-être que vous. Les patriciens romains savaient tous parfaitement leur langue ; les lettres de Brutus sont peut-être plus belles que celles de Cicéron ; César écrivait comme Salluste : il n’en est pas ainsi parmi nous autres Velches. Votre ouvrage est vrai, il est attendrissant, il est bien écrit. Je vous remercie tendrement de me l’avoir envoyé.
Je me suis informé de vous à tous ceux qui ont pu m’en donner des nouvelles ; je ne vous ai jamais oublié. Je savais que vous aviez fait des pertes, et je croyais qu’on vous avait dédommagé. Vous comptez donc aller vivre en philosophe à la campagne ? Je souhaite que ce goût vous dure comme à moi. Il y a treize ans que j’ai pris ce parti, dont je me trouve fort bien. Ce n’est guère que dans la retraite qu’on peut méditer à son aise.
Je signe de tout mon cœur votre profession de foi. Il paraît que nous avons le même catéchisme. Vous me paraissez d’ailleurs tenir pour ce feu élémentaire que Newton se garda bien toujours d’appeler corporel. Ce principe peut mener loin ; et si Dieu, par hasard, avait accordé la pensée à quelques monades de ce feu élémentaire, les docteurs n’auraient rien à dire . On aurait seulement à leur dire que leur feu élémentaire n’est pas bien lumineux, et que leur monade est un peu impertinente.
Je suis affligé que vous ayez la goutte, mais il paraît que ce n’est pas votre tête qu’elle attaque.
Vous faites donc actuellement des vers pour votre fille, après en avoir fait pour la mère. Si elle tient de vous, elle sera charmante ; elle aura du sentiment et de l’esprit. Il faut que vous me permettiez de lui présenter ici mes respects.
Je n’oublierai jamais mon cher Panpan 2; c’est une âme digne de la vôtre. Que fera-t-il quand vous ne serez plus en Lorraine ? Toute la cour de votre bon roi va s’éparpiller, et la Lorraine ne sera plus qu’une province. On commençait à penser : ces belles semences ne produiront plus rien, c’est vers la Marne qu’il faudra voyager.
Notre lac de Genève fait bien ses compliments à la Marne. Ne tremblez point pour les personnes dont vous vous souvenez ; jamais querelle ne fut plus pacifique. Nous avons à la vérité des dragons, mais ils sont aussi tranquilles que les Genevois.
Adieu, monsieur ; conservez-moi des bontés qui font la consolation de ma vieillesse. Votre paquet m’est venu par Paris, après bien des cascades. »
1 Portrait historique de Stanislas le Bienfaisant, 1767, in-8° : https://books.google.fr/books?id=kBEVAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
2 François-Etienne Devaux lecteur de Sa majesté le Roi de Pologne à Lunéville , voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/10/21/on-disait-qu-il-etait-plus-aise-de-battre-les-suisses-que-de-5863966.html
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