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07/01/2023

je dois supporter les inconvénients en jouissant des avantages

... Mais combien ne veulent que le beurre, l'argent du beurre et la main de la crêmière (et plus si affinité ! ) et râlent d'avoir à s'occuper aussi de l'aigre petit lait .

 

 

« A Jean-Baptiste Espérance, comte de Laurencin

24è juin 1767 au château de Ferney par Genève 1

Monsieur, j'ai été très touché de votre lettre 2. Je dois à la sensibilité que vous me témoignez l'aveu de l'état où je me trouve. Je me suis retiré, il y a environ treize ans, dans le pays de Gex, près de la Franche-Comté, où j'ai la plus grande partie de ma fortune; mais mon âge, ma faible santé, les neiges dont je suis entouré huit mois de l'année dans un pays d'ailleurs très riant, et surtout les troubles de Genève et l'interruption de tout commerce avec cette ville, m'avaient fait penser à faire une acquisition dans un climat plus doux. On m'a offert vingt maisons dans le voisinage de Lyon. Tout ce que vous voulez bien m'écrire, et votre façon de penser, qui me charme, me détermineraient à préférer votre château, pourvu que vous n'en sortissiez pas ; mais j'ai avec moi tant de personnes dont je ne puis me séparer que ma transmigration devient très difficile car, outre une de mes nièces, à qui j'ai donné la terre que j'habite, j'ai marié une descendante du grand Corneille à un gentilhomme du voisinage ; ils logent dans le château avec leurs enfants. J'ai encore deux autres ménages dont je prends soin; un parent impotent 3, qu'on ne peut transporter; un aumônier auparavant jésuite 4; un jeune homme 5 que M. le maréchal de Richelieu m'a confié, un domestique trop nombreux et enfin je suis obligé de gouverner cette terre, parce que la cessation du commerce avec Genève empêche qu'on ne trouve des fermiers.

Toutes ces raisons me forcent à demeurer où je suis, quelque dur que soit le climat, dans quelque gêne que les troubles de Genève puissent me mettre. M. le duc de Choiseul a bien voulu adoucir le désagrément de ma situation par toutes les facilités possibles. D'ailleurs ma terre, et une autre dont je jouis aux portes de Genève, ont un privilège presque unique dans le royaume, celui de ne rien payer au roi, et d'être parfaitement libres, excepté dans le ressort de la justice. Ainsi vous voyez, monsieur, que tout est compensé, et que je dois supporter les inconvénients en jouissant des avantages.

Je vous remercie de vos offres, monsieur, avec bien de la reconnaissance. Vos sentiments m'ont encore plus flatté; je vois combien vous avez cultivé votre raison. Vous avez un cœur généreux et un esprit juste. Je voudrais vous envoyer des livres qui pussent occuper votre loisir. Je commence par vous adresser un petit écrit qui a paru sur la cruelle aventure des Calas et des Sirven ; je l'envoie à M. Tabareau, qui vous le fera tenir. Si je trouve quelque occasion de vous faire des envois plus considérables, je ne la manquerai pas. Il est fort difficile de faire passer des livres de Genève à Lyon. Il est triste que ces ressources de l'âme, et les consolations de la retraite, soient interdites.

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. 

Voltaire

gentilhomme ordinaire

de la chambre du roi .»

1 Manuscrit olographe, sauf la date ; édition de Kehl ; Pierre Cornuau Lettres autographes composant la collection de Mme G. Whitney Hoff, 1934 . le manuscrit est passé à la vente Sotheby le 11 juin 1968.

2 Le comte de Laurencin croyant que V* voulait s'établir près de Lyon lui a offert sa propre maison près de Villefranche-sur-Saône.

3 Daumart .

4 Le père Adam .

5 C. Galien .

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