06/08/2010
Je sais seulement que c'est un barbouilleur de papier complètement déshonoré...En voilà trop sur un homme si méprisable et si méprisé.
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« A Claude-Joseph Dorat
A Ferney 6è auguste 1770
J'ignore, monsieur, et je veux ignorer quel est le sot ou le fripon, ou celui qui revêtu de ces deux caractères a pu vous dire que j'étais l'auteur des Anecdotes sur Fréron. Il aura pu dire avec autant de vraisemblance que j'ai fait Guzmán d'Alfarache [ de Mateo Aleman, traduit entre autres par Chapelain et imité par Lesage]. Je n'ai jamais, Dieu merci, ni connu ni vu ce misérable Fréron. Je n'ai jamais vu aucune de ses rhapsodies, excepté une demi-douzaine que je tiens de M. Lacombe [Jacques Lacombe, lettre du 5 juillet 1770]. Je sais seulement que c'est un barbouilleur de papier complètement déshonoré.
Je ne connais pas plus ses prétendus croupiers [ = certains écrivains comme Dorat, désignés dans les Anecdotes, collaborateurs de L'Année littéraire ] que sa personne. Je suis absent de Paris depuis plus de vingt ans, et je n'y ai fait avant ce temps qu'un séjour très court.
L'auteur des Anecdotes sur Fréron dit qu'il a été très lié avec lui. J'ai essuyé bien des malheurs dans ma vie ; mais j'ai été préservé de celui-là.[Thiriot avait envoyé à V* en août 1760 un dossier dont les éléments avaient été fournis, semble-t-il par l'abbé La Porte principalement, peut-être quelque peu par La harpe à qui V* voulait faire attribuer les éditions de 1761 ; cf. lettre à d'Alembert du 9 juillet,lettre à Thiriot du 17 juin]
Je n'ai jamais vu M. l'abbé de La Porte dont il est tant parlé dans ces Anecdotes. On dit que c'est un fort honnête homme, incapable des horreurs dont Fréron est chargé par tout le public.
Vous sentez, Monsieur, qu'il est impossible que j'aie vu Fréron au café de Viseu dans la rue Mazarine. Je n'ai jamais fréquenté aucun café [faux, il a fréquenté Le Procope, proche de la Comédie française ; il y donnait rendez-vous à Baculard d'Arnaud dans un billet du 16 juin 1749 ; il lui est arrivé d'y aller incognito écouter ce qu'on disait de ses pièces], et j'apprends pour la première fois par ces Anecdotes que ce café de Viseu existe ou a existé.
Il est de même impossible que je sache quels sont les marchés de Fréron avec les libraires, et tous les vils détails des friponneries que l'auteur lui reproche. Il serait absurde de m'imputer la forme et le style d'un tel ouvrage.
Vous vous plaignez que votre nom se trouve parmi ceux que l'auteur accuse d'avoir travaillé avec Fréron. Ce n'est pas assurément ma faute. Tout ce que je puis vous dire c'est que vous semblez avoir tort d'appeler cela un affront, puisque vous pouvez très bien lui avoir prêté votre plume sans avoir eu part à ses infamies. Vous m'apprenez vous-même que vous avez inséré dans les feuilles de ce Fréron un extrait contre M. de La Harpe [dans l'Année littéraire de Fréron a paru une « Épître d'un curé à l'auteur du drame de Mélanie », datée du 20 mars 1770, non signée, contre La Harpe].
Je ne sais ce que c'est que l'autre imputation dont vous me parlez.
Si vous êtes curieux de savoir quel est l'auteur des Anecdotes adressez-vous à M. Thiriot ; il doit le connaître ; et il y a quelques années qu'il m'écrivit touchant cette brochure . Adressez-vous à M. Marin qui est au fait de tout ce qui s'est passé depuis quinze ans dans la librairie, et qui sait parfaitement que je ne puis avoir la moindre part à toutes ces futilités. Adressez-vous à Mme Duchesne, à M. Guy [qui travaille chez Duchesne], lesquels doivent être fort instruits des gestes de Fréron ; adressez-vous à Lambert chez qui l'auteur dit avoir vu les pièces d'un procès entre Fréron et sa sœur la fripière. Adressez-vous à M. l'abbé de La Porte qui doit être mieux informé que personne. L'auteur paraît avoir écrit il y a six ou sept ans ; et je vous avoue que j'ai la curiosité de savoir son nom.
Je connais deux éditions des Anecdotes, l'une qui est celle dont vous me parlez, l'autre qui se trouve dans un pot-pourri en deux volumes [Les Choses utiles et agréables, 1770 ; cf. lettre à Thiriot du 17 juin] Il faut qu'il y en ait une troisième un peu différente des deux autres, puisque vous me parlez d'une nouvelle accusation contre vous que je ne trouve pas dans celle qui est en ma possession.
En voilà trop sur un homme si méprisable et si méprisé.
Vous pouvez faire imprimer votre lettre et la mienne.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je dois à votre mérite,
Monsieur,
votre très humble et très obéissant
serviteur
Voltaire »
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