16/09/2010
C'est une chose abominable qu'on aille quelquefois fourrer mon nom dans tous ces caquets-là ; mais il y aura toujours de méchantes langues
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« A Jean Le Rond d'Alembert
16 de septembre [1766]
Mon cher et grand philosophe, vous saurez que j'ai chez moi un jeune conseiller au parlement, mon neveu qui s'appelle d'Hornoy. La terre d'Hornoy est à cinq lieues d'Abbeville. C'est par le moyen d'un de ses plus proches parents qu'on est venu à bout de honnir ce maraud de Broutet [i]. Il broutera désormais ses chardons ; et voilà du moins cet âne rouge incapable de posséder jamais aucune charge ; c'est, comme vous dites, une bien faible consolation. Je voudrais que vous fussiez à Berlin ou à Pétersbourg ; mais vous êtes surtout nécessaire à Paris ; que ne pouvez-vous être partout !
Quand vous écrirez à celui qui a rendu le jugement de Salomon ou de Sancho Pança [ii], certifiez-lui, je vous prie, que je lui suis toujours attaché comme autrefois [iii], et que je suis fâché d'être si vieux.
Le procureur général de Besançon [iv], dont la tête ressemble comme deux gouttes d'eau à celle dont la langue est si bonne à cuire [v], fit mettre en prison, ces jours passés , un pauvre libraire [vi] qui avait vendu des livres très suspects. Il n'y allait pas moins que de la corde, par les dernières ordonnances . Le Parlement a absous le libraire tout d'une voix, et le procureur général a dit à ce pauvre diable : Mon ami, ce sont les livres que vous vendez qui ont corrompu vos juges.
La discorde règne toujours dans Genève, mais la moitié de la ville ne va plus au sermon. Je demande grâce à l'abbé de La Porte ; je ne sais plus ni ce que je suis, ni ce que j'ai fait ; il faudra que je me recueille [vii].
Il pleut des Fréret, des Du Marsais, des Bolingbroke [viii]. Vous savez, que Dieu merci, je ne me mêle jamais d'aucune de ces productions ; je ne les garde pas même chez moi ; je les rends quand je les ai parcourues . C'est une chose abominable qu'on aille quelquefois fourrer mon nom dans tous ces caquets-là ; mais il y aura toujours de méchantes langues . Prenez toujours le parti de l'innocence ; je vous embrasse très tendrement. Les philosophes ne sont guère tendres, mais je le suis . »
i A Damilavile, ce même jour : « un de ces malheureux juges qui avait tout embrouillé dans l'affaire d'Abbeville (à savoir dans le jugement du chevalier de La Barre...)... vient d'être flétri par la Cour des Aides de Paris ... Ce scélérat nommé Broutet, qui a osé être juge sans être gradué ...C'est, Dieu merci, un des parents de mon neveu d'Hornoy, le conseiller , à qui l'on doit la flétrissure de ce coquin. »
ii Frédéric II ; V* à d'Alembert le 25 août : « Le roi de Prusse me mande qu'il aurait fait condamner ces cinq jeunes gens à marcher quinze jours chapeau bas, à chanter des psaumes, et à lire quelques pages de la Somme de Saint-Thomas. Gardez-vous bien de dire à qui il a écrit ce jugement de Salomon. »
iii V* à Frédéric le 5 janvier 1767 : « Où est le temps, Sire, où j'avais le bonheur de mettre les points sur les i à sans-Souci et à Potsdam ? Je vous assure que ces deux années ont été les plus agréables de ma vie. »
iv Doroz.
v Pasquier ; cf. lettre du 23 juillet à d'Alembert.
http://books.google.be/books?id=KiwTAAAAQAAJ&pg=PA469...
vi Fantet ; cf. lettre à Damilaville du 4 août.
http://books.google.be/books?id=33cPAAAAQAAJ&pg=PA178...
vii Le 9 septembre, d'Alembert écrit : « ... l'abbé de La Porte, qui a fait un almanach des gens de lettres (La France littéraire), m'a chargé de vous demander à vous-même votre article contenant votre nom, les titres que vous voulez prendre, ceux de vos ouvrages que vous avouez, ceux même qu'on vous attribue, c'est à dire que vous avez faits sans les avouer etc. ... »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_de_La_Porte
viii Ou plutôt les ouvrages publiés sous leurs noms !
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