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20/09/2010

Le reste du jour est nécessairement donné aux processions des curieux qui viennent de Lyon , de Genève, de Savoie, de Suisse et même de Paris. Il vient presque tous les jours sept ou huit personnes dîner chez moi

 http://www.deezer.com/listen-2239573

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

Aux Délices 20 septembre [1756]

 

Mon divin ange, après des chinoises vous voulez des Africaines [i], mais il y aurait beaucoup à travailler pour rendre les côtes de Tunis et d'Alger dignes du pays de Confucius. Vous vous imaginez peut-être que dans mes Délices je jouis de tout le loisir nécessaire pour recueillir ma pauvre âme. Je n'ai pas un moment à moi. La longue maladie de Mme de Fontaine et mes souffrances prennent au moins la moitié de la journée. Le reste du jour est nécessairement donné aux processions des curieux qui viennent de Lyon , de Genève, de Savoie, de Suisse et même de Paris. Il vient presque tous les jours sept ou huit personnes dîner chez moi. Voyez le temps qui me reste pour les tragédies. Cependant si vous voulez avoir l'Africaine telle qu'elle est à peu près, en changeant les noms [ii], je pourrais bien vous l'envoyer et vous jugeriez si elle est plus présentable que le Botoniate [iii]. Il faudrait, je crois, changer les noms pour ne pas révolter les Dumesnil et les Gaussin [iv], mais il faudrait encore plus changer les choses.

 

Le roi de Prusse est plus expéditif que moi, il se propose de tout finir au mois d'octobre, de forcer l'auguste Marie-Thérèse de retirer ses troupes ; de faire signe à l'autocratrice de toutes les Russies de ne pas faire avancer ses Russes ; et de retourner faire jouer à Berlin un opéra qu'il a déjà commencé [v]. Ses soldats en ce cas reviendront gros et gras de la Saxe où ils ont bu et mangé comme des affamés.

 

Mon cher ange, qu'elle est donc votre idée avec le vainqueur de Mahon ?[vi] Il faut d'abord que ces frères Cramer impriment les sottises de l'univers en sept volumes [vii], et ces sottises pourront encore scandaliser bien des sots. Il faut en attendant que je reste dans ma très jolie, très paisible et très libre retraite. M. le comte de Gramont qui est ici à la suite de Tronchin [viii], disait hier en voyant ma terrasse, mes jardins, mes entours, qu'il ne concevait pas comment on en pouvait sortir. Je n'en sortirais, mon divin ange, que pour venir passer quelques mois d'hiver auprès de vous. Je n'ai pas un pouce de terre en France. J'ai fait des dépenses immenses à mes ermitages sur les bords de mon lac. Je suis dans un âge et d'une santé à ne plus me transplanter. Je vous répète que je ne regrette que vous, mon cher et respectable ami. Les deux nièces vous font les plus tendres compliments.

 

Les frères Cramer ont fait une haute sottise d'envoyer des lettres circulaires sans m'en donner avis. Je leur ai lavé leur tête genevoise.

 

Adieu,mes respects à tous les anges.

 

V.

 

Par quelle rage opiniâtre persistez-vous à m'écrire

toujours sous le couvert de Tronchin botoniate [ix] à Genève ? Si vous ne me jugez pas digne de recevoir des lettres en droiture, adressez du moins au Tronchin banquier de Lyon qui se fait rembourser des ports. Mais pourquoi pas aux Délices ? »

 

 

i Zulime après L'Orphelin de la Chine.

ii Provisoirement Zulime va devenir Fanime.

iii Les Commènes de François Tronchin.

iv Les actrices qui ont joué la pièce en 1740.

v Mérope ; cf. lettre du 7 février.

vi Richelieu ; cf. lettre du 14 juin 1756 . D'Argental et surtout Richelieu essayaient de faire revenir V* en France, sans doute à Paris; cf. lettre du 10 octobre.

vii L'Essai sur les moeurs.

viii Théodore Tronchin, le médecin.

ix François Tronchin, auteur des Commènes.

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