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18/09/2010

Dîtes-moi pourquoi depuis Bossuet et Fléchier nous n'avons point eu de bonne oraison funèbre ? Est-ce la faute des morts ou des vivants ?

 http://www.deezer.com/listen-7199241

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

18 septembre 1768

 

 

Il y a un Tronchin [i], mon cher ange, qui, lassé des tracasseries de son pays, va voyager à Paris et à Londres, et qui n'est pas indigne de vous. Il a souhaité passionnément de vous être présenté, et je vous le présente. Il doit vous remettre deux paquets qu'on lui a donné pour vous. Je crois qu'ils sont destinés à cette pauvre sœur d'un brave marin tué en Irlande [ii], laquelle fît comme vous savez un petit voyage sur terre presque aussi funeste que celui de son frère sur mer. Apparemment qu'on a voulu la dédommager un peu de ses pertes, et qu'on a cru qu'avec votre protection elle pourrait continuer plus heureusement son petit commerce. Je crois qu'il y a un des deux paquets venu d'Italie, car l'adresse est en italien [iii]. L'autre est avec une surenveloppe à M. le duc de Praslin.

 

Pour le paquet du petit Desmahis [iv], je le crois venu à bon port ; il fût adressé il y a quinze jours à l'abbé Arnaud, et je vous en donnai l'avis par une lettre particulière.

 

Je crois notre pauvre père Thoulier, dit l'abbé d'Olivet, mort actuellement, car par mes dernières lettres il était à l'agonie. Je crois qu'il avait 84 ans. Tâchez d'aller par-delà, vous et Mme d'Argental, quoique après tout la vieillesse ne soit pas une chose aussi plaisante que le dit Cicéron .

 

Vous devez avoir actuellement Lekain à vos ordres. C'est à vous à voir si vous lui donnerez le commandement du fort d'Apamée [v], et si vous croyez qu'on puisse tenir bon dans cette citadelle contre les sifflets. Je me flatte, après tout, que les plus dangereux ennemis d'Apamée seraient ceux qui vous ont pris il y a cent ans Castro et Ronciglione [vi]; mais supposé qu'ils dressassent quelque batterie, n'auriez-vous pas des alliés qui combattraient pour vous ? Je m'en flatte beaucoup, mais je ne suis nullement au fait de la politique présente, je m'en remets entièrement à votre sagesse et à votre bonne volonté.

 

Je n'ai point vu le chef-d'œuvre d'éloquence de l'évêque du Puy [vii]. Je sais seulement que les bâillements se faisaient entendre à une lieue à la ronde.

 

Dîtes-moi pourquoi depuis Bossuet et Fléchier nous n'avons point eu de bonne oraison funèbre ?est-ce la faute des morts ou des vivants ?les pièces qui pêchent par le sujet et par le style sont d'ordinaire sifflées .

 

 

Auriez-vous lu un Examen de l'Histoire de Henri IV écrite par un Bury ?[viii] Cet Examen fait une grande fortune, parce qu'il est extrêmement audacieux et que si le temps passé y est un peu loué, ce n'est qu'aux dépens du temps présent. Mais il y a une petite remarque à faire, c'est qu'il y a beaucoup plus d'erreurs dans cet Examen que dans l'Histoire de Henri IV. Il y a deux hommes bien maltraités dans cet Examen, l'un est le président Hénault en le nommant [ix], et l'autre que je n'ose nommer [x]. Le peu de personnes qui ont fait venir cet Examen à Paris en paraissent enthousiasmées. Mais si elles savaient avec quelle impudence l'auteur a menti, elles rabattraient de leurs louanges.

 

Adieu, mon cher ange, adieu la consolation de ma très languissante vieillesse.

 

N. B. - Vous sentez bien que la crème des fromages [xi] qu'on envoie à la sœur du marin est pour vous.

 

V. »

i Jacob Tronchin, qui a démissionné de ses fonctions politiques à Genève, qui veut racheter Ferney ; cf. lettre du 8 mars 1768 à Mme Denis.

ii La femme du libraire Lejeune, envoyée à V* par d'Argental, qui avait été arrêtée à son retour en décembre 1766 avec une cargaison de livres défendus, dont 80 exemplaires du Recueil nécessaire de V* ; cf. lettre à d'Argental du 2 janvier 1767 .

iii Peut-être un ouvrage qu'il prétend traduit de l'italien Les Droits des hommes... Cf. lettre du 9 septembre à Chabanon.

iv Sa tragédie Les Guèbres, qu'il attribue alors à feu Desmahis.

v Où se déroulent Les Guèbres.

vi Les fidèles du pape qui ont pris ces places au duc de Parme (dont d'Argental est l'envoyé à Paris) ; V* parle de cette « usurpation » dans Les Droits des hommes et les Usurpations des autres (ou des papes ), comme il l'écrit le 9 septembre à Chabanon.

vii Oraison funèbre de la reine par Lefranc de Pompignan.

viii Il s'agit de Histoire de la vie de Henri IV, roi de France et de Navarre, 1765 d'Édouard Bury, et Examen de la nouvelle histoire de Henri IV de M. de Bury , 1768, que V* attribue à La Beaumelle.

ix Le 13 septembre, V* cite au président Hénault le passage de la page 30 où il est traité de « guide peu sûr, abréviateur infidèle, hasardeux dans ses anecdotes, trop court sur les grands évènements pour être lu avec utilité, trop long sur les minuties pour être lu sans ennui, trop attentif à ramasser tout ce qui est étranger à son sujet ... pour obtenir une grâce ... sur les négligences de son style, sur ses omissions des faits importants, sur la confusion qui règne dans ses dates ... »

x Le roi !

V* a cité le passage incriminé au président Hénault : « Voici comment il parle du roi ... page 24 :'' ... le petit fils de Scha Abas [le roi] fut bercé pendant sept ans par des femmes, ... ensuite il fut bercé pendant huit ans par des hommes ; ... on l'accoutuma de bonne heure à s'adorer lui-même...; tout ce qui l'environnait avait ordre de lui épargner le pénible soin d'agir, de penser, de vouloir...'' » Cf. lettre du 26 octobre à Mme Denis.

xi Il s'agit des brochures évoquées au début .

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