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22/09/2010

il est sensible à la gloire. C'est par là seulement qu'on peut obtenir quelque chose de lui

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« A Louise-Dorothée Von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

 

A Strasbourg 22 septembre [1753]

 

Madame,

 

Après avoir écrit à Votre Altesse sérénissime la lettre qu'elle m'ordonne de lui envoyer [i], je me livre à mon étonnement, aux transports de ma sensibilité, à tout ce que je dois à votre cœur adorable. Madame, il n'y a que vous au monde auprès de qui je voulusse finir ma vie. Je me suis arrêté auprès de Strasbourg uniquement pour finir cet ouvrage que Votre Altesse Sérénissime m'avait commandé [ii]. Le hasard qui conduit tout a voulu que j'eusse ici un bien assez considérable qui est dans une terre d'Alsace appartenant à Mgr le duc de Virtemberg [iii]. Votre Altesse Sérénissime sent bien que la fortune ne peut jamais être un motif pour souhaiter les bonnes grâces du roi de Prusse. Non, Madame,je ne veux que les vôtres, et si je peux ambitionner quelque retour de sa part, c'est uniquement parce que je vous le devrai. Mon cœur est pénétré de ce que vous daignez faire, c'est le seul sentiment dont je sois capable. Je dois vous ouvrir, Madame, un cœur qui est entièrement à vous. Il est clair que le premier pas dans toute cette abominable affaire est la lettre que fit imprimer le roi de Prusse contre Koenig et contre moi [iv]. Il est clair que ce premier faux pas si indigne d'un roi a conduit toutes les autres démarches. L'outrage affreux fait à ma nièce dans Francfort a indigné toute l'Europe, et la cour de Versailles comme celle de Vienne. Que peut-on espérer, Madame , d'un homme qui n'a point réparé cette indignité, et qui au contraire a disculpé en quelque sorte ses ministres en écrivant à la ville de Francfort, tandis qu'il les désavouait à Versailles ?[v] Pensez-vous, Madame, qu'il ait un cœur aussi bon, aussi vrai que le vôtre ? pensez-vous qu'il respecte l'humanité et la vérité ?

 

Du moins il est sensible à la gloire. C'est par là seulement qu'on peut obtenir quelque chose de lui ; et puisque vos bontés généreuses ont commencé cet ouvrage, il ne faut pas qu'elles en aient le démenti. Peut-être qu'en effet M. de Gotter pourra quelque chose [vi], surtout s'il n'est pas de lui ; mais il pourra bien peu sans Mme la margrave de Bareith. Sans doute, Madame, le roi voudra se justifier auprès de vous. Peut-il ne pas ambitionner votre estime ? mais il ne voudra que se justifier à mes dépens, plus jaloux de pallier son tort que de le réparer. Il est roi, il a cent cinquante mille hommes, il peut m'écraser, mais il ne peut empêcher qu'une âme comme la vôtre ne le condamne secrètement.

 

Il en sera tout ce qui pourra [vii]. Je suis trop heureux, les bontés de Votre Altesse Sérénissime me consolent de tout. La forêt de Thuringe ne me fait plus trembler. Gotha devient le climat de Naples. Puissé-je après la révision de mes empereurs venir me jeter à vos pieds ! Mon cœur y est, il y parle à Madame la grande Maîtresse, il dit qu'il veut ne respirer que pour Votre Altesse Sérénissime, il est votre sujet jusqu'au tombeau avec le plus profond respect.

 

V. »

iLa duchesse voulant réconcilier V* et Frédéric a demandé à V* d'écrire une mettre ostensible devant être présentée au roi.

ii Les Annales de l'Empire.

iii Ce sont des terres appartenant au duc et qui garantissent un prêt de V*.

iv Lettre d'un académicien de Berlin à un académicien de Paris.

v A milord Maréchal, ambassadeur à Paris de Frédéric II, celui-ci écrit le 28 juin qu'il désapprouve « l'exactitude brutale » de son résident de Francfort et se propose de « redresser le passé ». A contrario, le 24 juillet et le 4 août, il répond à quelques représentations du Conseil de Francfort par un réquisitoire contre V* et Mme Denis et une justification presque totale des fonctionnaires prussiens.

vi Ce même jour, V* écrit à la margravine : « Mme la duchesse de Gotha ... a chargé M. de Gotter de parler au roi votre frère ... Gotter, né à Gotha est au service de la Prusse.

vii Le 24 novembre à Mme Denis : « C'était Mme la duchesse de Gotha, que la bonté de son cœur avait séduite, qui se flattait de faire parvenir le repentir dans un cœur qu'elle ne connait pas ... Il n'y a rien à faire avec un homme né faux. »

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