17/10/2010
Comme tout est changé ! et que je me sais bon gré d'avoir vécu pour tous ces grands évènements !
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« A Frédéric II, roi de Prusse
16 oct[obre] 1772
Sire, la médaille est belle, bien frappée, la légende noble et simple, mais surtout la carte que la Prusse jadis polonaise présente à son maître fait un très bel effet [i]. Je remercie bien fort Votre Majesté de ce bijou du Nord. Il n'y en a pas à présent de pareils dans le Midi.
La paix a bien raison de dire aux palatins :
Ouvrez les yeux, le diable vous attrape,
Car vous avez à vos puissants voisins
Sans y penser longtemps servi la nappe.
Vous voudrez donc bien trouver bel et beau
Que ces voisins partagent le gâteau.
C'est assurément le vrai gâteau des rois [ii], et la fève a été coupée en trois parts. Mais la paix ne s'est-elle pas un peu trompée ? J'entends dire de tous côtés que cette paix n'a pu venir à bout de réconcilier Catherine Seconde et Moustapha, et que les hostilités ont recommencé depuis deux mois. On prétend que parmi ces Français si babillards il s'en trouve qui ne disent mot et qui n'en agissent pas moins sous terre [iii].
On dit que les mêmes gens qui gardent Avignon au Saint-Père [iv] ont un grand crédit dans le sérail de Constantinople. Si la chose est vraie, c'est une scène nouvelle qui va s'ouvrir. Mais il n'y en a point de plus belle que les pièces que l'on joue en Prusse et en Suède [v].Le Roi votre neveu [vi] paraît digne de son oncle.
Je remercie Votre Majesté de remettre dans la règle le célèbre couvent d'Oliva [vii], car le bruit court que vous êtes prieur de cette bonne abbaye et que dans peu tous les novices de ce couvent feront l'exercice à la prussienne. Je ne m'attendais il y a deux ans à rien de tout ce que je vois. C'est assurément une chose unique que le même homme se soit moqué si légèrement des palatins pendant six chants entiers [viii] et en ait eu un nouveau royaume pour sa peine. Le Roi David faisait des vers contre ses ennemis mais ses vers n'étaient pas si puissants que les vôtres. Jamais on n'a fait un poème ni pris un royaume avec tant de facilité. Vous voilà, Sire, le fondateur d'une très grande puissance. Vous tenez un des bras de la balance de l'Europe, et la Russie devient un nouveau monde. Comme tout est changé ! et que je me sais bon gré d'avoir vécu pour tous ces grands évènements !
Dieu merci je prédis et je dis il y a plus de trente ans que vous feriez de très grandes choses, mais je n'avais pas poussé mes prédictions aussi loin que vous avez porté votre très solide gloire. Votre destin a toujours été d'étonner la terre. Je ne sais pas quand vous vous arrêterez, mais je sais que l'aigle de Prusse va bien loin.
Je supplie cette aigle de daigner jeter sur moi chétif du haut des airs où elle plane, un de ces coups d'œil qui raniment le génie éteint. Je trouve si votre médaille est ressemblante que la vie est dans vos yeux et sur votre visage et que vous avez, comme de raison, la santé d'un héros [ix].
Je suis à vos pieds comme il y a trente ans, mais bien affaibli. Je regarderai le regno redintegrato quand je voudrai reprendre des forces.
VOTRE VIEUX IDOLÂTRE »
i Le 16 septembre Frédéric a envoyé la médaille de Jakob Abraham qui célèbre le partage de la Pologne ( traité de Saint Saint-Pétersbourg le 25 juillet, signifié à la Pologne le 2 septembre) ; la nouvelle carte présentée au roi porte l'inscription « regno redintegrato ». A Catherine II, V* écrira le 2 novembre : « Ce mot de « redintegrato » est singulier ; j'aurais autant aimé « novo » . Le « redintegrato » conviendrai mieux à l'Empereur des Romains s'il voulait monter à cheval avec vous ... » Frédéric a reçu la Prusse polonaise moins les villes libres de Dantzig et le Thorn.
ii Le 18 novembre, V* écrira à Frédéric à propos de ce partage dont les préliminaires ont eu lieu à Potsdam : « On prétend que c'est vous, Sire, qui avez imaginé le partage de la Pologne et je le crois parce qu'il y a là du génie et que le traité s'est fait à Potsdam. »
iii Frédéric répondra le 1er novembre : « Je crois qu'il y a des Français qui gardent le silence, et qui ont un grand crédit au sérail ;mais mes nouvelles de Constantinople m'apprennent que le congrès de paix se renoue ... »
iv La cour de France reprit Avignon au pape en 1768 et rendit la ville au moment de la dissolution de l'ordre des Jésuites.
v Cf. lettre du 16 septembre à d'Alembert.
vi Gustave III de Suède ; fils de Louise-Ulrique, sœur de Frédéric, avec qui V* avait eu une galanterie littéraire en 1743.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_III_de_Su%C3%A8dehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Louise-Ulrique_de_Prusse
vii Abbaye proche de Dantzig sur les terres annexées par la Prusse.
Page 289 :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ge...
viii Poème de Frédéric : La guerre des Confédérés ; cf. lettre à Frédéric du 6 décembre 1771.
Page 185 :
http://books.google.be/books?id=6cxWAAAAMAAJ&pg=PA463...ix Frédéric répondra : « ... ni mes portraits ni mes médailles ne me ressemblent . Je suis vieux , cassé, goutteux, suranné, mais toujours gai et de bonne humeur . D'ailleurs les médailles attestent plutôt les époques qu'elles ne sont fidèles aux ressemblances. »
05:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
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