29/10/2010
Frère Rhubarbe à frère Gaillard, salut
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« A Jean-Martin de Prades
[à Monsieur l'Abbé de Prades lecteur du Roi à Potsdam
(endossé)par l'adresse de votre très humble et très obéissant serviteur Leipsic ce 8 9bre 1755 . Ami Dumont.]
Aux Délices près de Genève
29 octobre [1755]
Frère Rhubarbe à frère Gaillard, salut,
Je suis très fâché que frère en Belzébuth, frère Isaac [i] soit malingre et mélancolique. C'est la pire des damnations. Conservez votre santé et votre gaieté. J'enverrais de tout mon cœur aux pieds du très révérend père prieur [ii] le seizième chant de scandale [iii] qu'il demande. Mais je n'en ai point fait [iv]. Une douzaine de jeunes Parisiens plus gais que moi s'amusent tous les jours à remplir mon ancien canevas, chacun y met du sien. On dit qu'on imprime l'ouvrage de deux ou trois façons différentes [v]. Tout ce que je peux faire, c'est de protester en face de la sainte Église . Si le très révérend père prieur voulait mettre dans son cabinet de livres un exemplaire corrigé de L'Orphelin de la Chine, j'aurais l'honneur de le lui adresser en toute humilité, car malgré l'excommunication que l'exaltation de l'âme, les frictions de poix-résine, et la dissection des cerveaux de géant [vi] m'ont attirée, je crois que sa noble paternité a des entrailles de charité ; et elle doit savoir que j'étais un frère servant très attaché au père prieur, pensant comme lui et disant mon office à son honneur et gloire. J'ai un petit monastère auprès de Lausanne sur le chemin de Neuchâtel, et si ma santé me l'avais permis j'aurais été jusqu'à Neuchâtel pour voir milord Maréchal [vii], mais j'aurais voulu pour cela des lettres d'obédience.
Il m'est venu ici deux jeunes gens de Paris [viii], qui m'ont dit qu'il y a un nommé Poinsinet [ix] à qui on a fait accroire que le roi de Prusse l'avait choisi pour être précepteur de son fils, mais que l'article du catholicisme était embarrassant. Il a signé qu'il serait de la religion que le roi voudrait.
Il apprend actuellement à danser et à chanter pour donner une meilleure éducation au fils de Sa Majesté, et il n'attend que l'ordre du roi pour partir. Pour moi, j'attends tout doucement la fin de mes coliques, de mes rhumatismes, de mes ouvrages et de toutes les misères de ce monde. Je vous embrasse.
V. »
i D'Argens.
ii Frédéric.
iv En 1755, il y eut trois éditions pirates avec six états typographiques différents.
http://www.eroticabibliophile.com/books_pucelleorleans.php
www.frissonesthetique.com/revue/no5/pdf/54voltaire.pdf
v V* soupçonna Frédéric d'être à l'origine de la fuite ;
cf. lettre du 15 juin 1755 à d'Argental : pages 656-657 : http://books.google.be/books?id=7SQtAAAAYAAJ&pg=PA795...
vi Références aux théories de Maupertuis dont V* se moqua en 1752-1753 (cf. Diatribe du docteur Akakia :
http://www.voltaire-integral.com/Html/23/08DIAL.htm#DIATRIBE DU DOCTEUR AKAKIA): « il a imaginé le moyen de connaître la nature de l'âme ... en disséquant des têtess de géants », « il conseille d'enduire un malade de poix-résine », « il espèrequ'un peu plus de chaleur et d'exaltation dans l'imagination pourra servir à montrer l'avenir... »
vii Envoyé de Prusse, gouverneur de Neuchâtel ; V* n'aura pas les lettres demandées.
http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Keith
http://books.google.be/books?id=ERI6AAAAcAAJ&printsec...
viii Pierre Patu (26 ans) et Charles Palissot (25 ans).
Patu : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Pierre_Patu
Palissot : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Palissot_de_Montenoy
ix Antoine-Alexandre-Henri Poinsinet, auteur comique à qui il semble que l'on ait fait croire que Frédéric a un fils .
http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Alexandre-Henri_Poin...
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