29/10/2010
Il serait bien beau à la philosophie de forcer l'ancienne magistrature à extirper ses atrocités, ou d'obtenir de la nouvelle troupe une réparation solennelle
Note rédigée le 13 août 2011 pour parution le 29 octobre 2010 .
« A Jean Le Rond d’Alembert
Mon cher et grand philosophe, je vous ai légué d'Etallonde 1, comme je ne sais quel Grec 2 donna en mourant sa fille à marier à je ne sais quel autre Grec . Il s'agit de savoir si on peut obtenir en France la grâce d’un brave officier prussien accusé d'avoir chanté à l'age de seize ans une vieille chanson de corps de garde, et d'avoir récité l'Ode à Priape de Piron connu par cette seule ode à la cour, et récompensé par une pension du roi de 1500 livres sur la cassette 3. Certainement le poing coupé, la langue arrachée 4, la torture ordinaire et extraordinaire, la roue et le bûcher n'étaient pas en raison directe du crime .
J'avais supplié le roi de Prusse de vous envoyer ou un passeport pour d'Etallonde, dit Morival, ou une attestation de son général, qui servira de ce qu'elle pourra 5. Il me mande qu'il vous l'envoie 6, et peut-être avez-vous déjà reçu cette pancarte . Vous en ferez, après la Saint-martin, l'usage que votre bienfaisance et votre sagesse vous conseilleront ; rien ne presse . Ce jeune homme reste toujours chez moi, et Mme Denis le gardera si je meurs avant que son affaire soit consommée .
Le roi de Prusse m'a dit qu'il charge son ministre de recommander d'Etallonde au garde des Sceaux . Mme la duchesse d'Anville a déjà disposé M. de Miromesnil 7 à être favorable à d'Etallonde . Nous avons dans l'ancien parlement et dans le nouveau des hommes sages et justes , qui m'ont donné parole de faire réparer autant qu'il sera en eux l'arrêt des cannibales, qui d'un trait de plume ont assassiné La Barre en personne, et d'Etallonde en peinture 8, arrêt qui par parenthèse ne passa que de deux voix 9.
Il reste à voir s'il faut ou qu'il fasse juger son procès, ou qu'il demande des lettres honteuses de grâce . Je suis absolument pour la révision, parce que j'ai vu les charges . Une grâce n'est que l'aveu d'un crime . Il serait bien beau à la philosophie de forcer l'ancienne magistrature à extirper ses atrocités, ou d'obtenir de la nouvelle troupe une réparation solennelle des infamies punissables de l’autre tripot . Ce problème des deux corps est aussi digne d'être résolu par vous que le problème des trois corps .
Nous en parlerons dans quelque temps . Je recommande aux deux Bertrands 10 cette bonne œuvre ; Raton mourant n'est plus bon à rien.
Ne voyez-vous pas quelquefois M. d'Argental ? Il connait cette affaire, il a un grand zèle .
Tout cela n'est pas trop académique, mais cela est humain et digne de vous . Ce n'est plus Damilaville minor dont je vous parle, j'espère qu'il ne vous importunera plus 11.
Adieu, digne homme .
V.
N.B.- Un fils du comte de Romanzof vient de faire des vers français dont quelques-uns sont encore plus étonnants que ceux du comte de Chowalof . C'est un dialogue entre Dieu et le Révérend Père Hayer, auteur du Journal chrétien . Dieu lui recommande la tolérance, Hayer lui répond :
Ciel ! que viens-je d'entendre , ah ! ah ! je le vois bien,
Que vous-même, Seigneur, vous ne valez plus rien .
Tout n'est pas de cette force .
29 d'octobre [1774]»
1 Le 28 septembre, V* a écrit à d'Alembert et à Condorcet : « … je vous confie une affaire plus intéressante, et je la mets sous votre protection ... » ; voir page 375 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f380.image.r=.langFR
3 Ce n'est pas pour cette ode que Piron composa dans sa jeunesse qu'il reçut une pension de mille livres , mais pour le dédommager d'avoir été exclu de l'Académie française à la demande de Boyer, ancien évêque de Mirepoix (l' « âne de Mirepoix » comme disait V*).
Ode à Priape (NDLR : ode au langage cru, appréciée par Fontenelle entre autres) : page 9 : http://books.google.fr/books?id=wQ0_AAAAcAAJ&pg=PA9&a...
6 Le 8 octobre, Frédéric II avait répondu à V* qui lui avait demandé un témoignage qu'il ne pouvait intervenir personnellement, qu’il pouvait seulement « envoyer le témoignage du général à M. d'Alembert » et faire « écrire à mon ministre à Paris qu'il dise un mot en faveur du jeune homme au nouveau chancelier ». Le 20 octobre, il écrit qu'il envoie à d'Alembert un « attestat » du commandant de Wesel.
Voir page 378 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f383.image.r=.langFR
et page 382 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f387.image.r=.langFR
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