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30/10/2010

Malheur aux détails : la postérité les néglige tous : c'est une vermine qui tue les grands ouvrages

Le diable est dans les détails :  http://www.deezer.com/listen-3756837

 Détails mineurs : http://www.deezer.com/listen-3266127

  Et si en plus les détails sont tout petits : http://www.deezer.com/listen-3734083 , chanson parfaitement et justement négligée (style bouche-trou pour boucler un disque ! oublions ! continuons à oublier ou à ignorer ! )

     Frais et sans prétention, j'aime bien cet air guilleret : http://www.deezer.com/listen-291806 

 

Et je vous passe les détails !

 

Dubos.jpg

 

 

 

« A Jean-Baptiste Dubos

[i]

 

A Cirey, 30 octobre [1738]

 

 

3

Il y a déjà longtemps, Monsieur,que je vous suis attaché par la plus forte estime ; je vais l'être par la reconnaissance. Je ne vous répèterai point ici que vos livres doivent être le bréviaire des gens de lettres, que vous êtes l'écrivain le plus utile et le plus judicieux que je connaisse ; je suis si charmé de voir que vous êtes le plus obligeant, que je suis tout occupé de cette dernière idée.

 

Il y a longtemps que j'ai assemblé quelques matériaux pur faire l'histoire du siècle de Louis XIV : ce n'est point simplement la vie de ce prince que j'écris, ce ne sont point les annales de son règne ; c'est plutôt l'histoire de l'esprit humain, puisé dans le siècle le plus glorieux à l'esprit humain.

 

Cet ouvrage est divisé en chapitres ; il y en a vingt environ destinés à l'histoire générale : ce sont vingt tableaux des grands évènements du temps. Les principaux personnages sont sur le devant de la toile ; la foule est dans l'enfoncement. Malheur aux détails : la postérité les néglige tous : c'est une vermine qui tue les grands ouvrages. Ce qui caractérise le siècle, ce qui a causé les révolutions, ce qui sera important dans cent années : c'est là ce que je veux écrire aujourd'hui.

 

Il y a un chapitre pour la vie privée de Louis XIV ; deux pour les grands changements faits dans la police du royaume, dans le commerce, dans les finances ; deux pour le gouvernement ecclésiastique, dans lequel la révocation de l'édit de Nantes et l'affaire de la régale [ii] sont comprises ; cinq ou six pour l'histoire des arts, à commencer par Descartes et à finir par Rameau.

 

Je n'ai d'autres mémoires pour l'histoire générale qu'environ deux cents volumes de mémoires imprimés que tout le monde connaît ; il ne s'agit que de former un corps bien proportionné à tous ces membres épars, et de peindre avec des couleurs vraies, mais d'un trait, ce que Larrey, Limiers, Lamberty, Roussel [iii]etc., etc. falsifient et délaient dans des volumes.

 

J'ai pour la vie privée de Louis XIV les mémoires de M. Dangeau, en quarante volumes dont j'ai extrait quarante pages ; j'ai ce que j'ai entendu dire à de vieux courtisans, valets, grands seigneurs, et d'autres ; et je rapporte les faits dans lesquels ils s'accordent. J'abandonne le reste aux faiseurs de conversations et d'anecdotes. J'ai un extrait de la fameuse lettre du roi au sujet de M. de Barbésieux [iv] dont il marque tous les défauts auxquels il pardonne en faveur des services du père : ce qui caractérise Louis XIV bien mieux que les flatteries de Péllisson [v].

 

Je suis assez instruit de l'aventure de l'homme au masque de fer, mort à la Bastille [vi]. J'ai parlé à des gens qui l'ont servi.

 

Il y a une espèce de mémorial [vii], écrit de la main de Louis XIV, qui doit être dans le cabinet de Louis XV, M. Hardion le connait sans doute ; mais je n'ose en demander communication.

 

Sur les affaires de l'Église, j'ai tout le fatras des injures de parti ; et je tâcherai d'extraire une once de miel de l'absinthe des Jurieu, des Quesnel, des Doucin, etc.

 

Pour le dedans du royaume, j'examine les mémoires des intendants, et les bons livres qu'on a sur cette matière. M. l'abbé de Saint-Pierre a fait un journal politique [viii] de Louis XIV que je voudrais bien qu'il me confiât. Je ne sais s'il fera cet acte de bienfaisance [ix] pour gagner le paradis.

 

A l'égard des arts et des sciences, il n'est question, je crois, que de tracer la marche de l'esprit humain en philosophie, en éloquence, en poésie, en critique ; de marquer les progrès de la peinture, de la sculpture, de la musique, de l'orfèvrerie, des manufactures de tapisserie, de glaces, d'étoffes d'or, de l'horlogerie. Je ne veux que peindre, chemin faisant, les génies qui ont excellé dans ces parties. Dieu me préserve d'employer 300 pages à l'histoire de Gassendi ! La vie est trop courte, le temps trop précieux pour dire des choses inutiles.

 

En un mot, voyez , Monsieur, mon plan mieux que je ne pourrais vous le dessiner. Je ne me presse point d'élever mon bâtiment . Pendent opera interrupta, minaeque merorum ingentes [x]. Si vous daignez me conduire, je pourrai dire alors : aequataque machina coelo [xi]. Voyez ce que vous pouvez faire pour moi, pour la vérité, pour un siècle qui vous compte parmi ses ornements [xii].

 

A qui daignerez-vous communiquer vos lumières, si ce n'est à un homme qui aime sa patrie et la vérité, et qui ne cherche à écrire l'histoire ni en flatteur, ni en panégyriste, ni en gazetier, mais en philosophe ? Celui qui a si bien débrouillé le chaos de l'origine des Français m'aidera sans doute à répandre la lumière sur les plus beaux jours de la France. Songez, Monsieur, que vous rendrez service à votre disciple et à votre admirateur.

 

Je serai toute ma vie avec autant de reconnaissance que d'estime etc.

 

Voltaire.

 

 

Je vous prie de me dire si le livre de La Hode [xiii] mérite que je l'achète et ce que c'est que La Hode. »

 

ii Droit que possédéait le roi de toucher les revenus des évêchés vacants et d'y faire lui-même des nominations écclésiastzaiqueq, ce qui fut l'occasion d'un conflit entre Louis XIV et le pape.

http://www.histariege.com/regale.htm

 

iii Roussel ou Rousset (de Missy) ?

iv « Mémoire ..., sur l'inconduite du marquis de Barbésieux », Revue encyclopédique, 1925.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Fran%C3%A7ois_Marie_Le...

 

v Paul Pellisson, historiographe de Louis XIV. Il « abusait de la permission que les hommes ont d'être laids ! » dit une de ses contemporaines.

http://books.google.be/books?id=TQYUAAAAQAAJ&printsec...

 

 

vi Dans Le siècle de Louis XIV, V* en parle sous « Particularités et anecdotes du règne... »

http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Si%C3%A8cle_de_Louis_XIV...

 

vii Les Mémoires du roi, publiés en 1806 seulement.

http://books.google.be/books?id=4rxWAAAAMAAJ&printsec...

 

viii Les Annales politiques -de Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre,-qui paraitront en 1757 seulement.

http://books.google.be/books?id=PHQ2AAAAMAAJ&printsec...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Ir%C3%A9n%C3%A9e_Cas...

 

 

ix On attribua -à tort- à l'abbé la création du mot « bienfaisance » qui « plait » à V* ; cf. Septième Discours sur l'homme : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-poeme-sur-la-vr...

http://www.monsieurdevoltaire.com/article-dictionnaire-ph...

 

x Les ouvrages interrompus restent en suspens, ainsi que les murs qui dressaient leurs énormes menaces.

 

xi Et tout un appareil élevé jusqu'au ciel.

 

xii Dubos est secrétaire perpétuel de l'Académie française et a écrit entre autres, Histoire de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules et Réflexions critiques sur la poésie et la peinture.

 

xiii La Mothe appelé La Hode, auteur de la Vie de Philippe d'Orléans, 1736 et de l'Histoire des Révolutions de France ; La Martinière va publier l'Histoire de la vie et du règne de Louis XIV ... rédigée sur les mémoires de feu M. le cte de ***, 1740-1742.

 

Faire recherche « La Mothe » dans : http://www.marelibri.com/search/current?maximumPrice=0&am...

 

Voir aussi : http://books.google.be/books?id=iE4OAAAAQAAJ&printsec...

 

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