Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/05/2011

nos idées ne dépendent pas plus de nous que notre digestion

 

Pour rompre mon sevrage jazzy :  http://www.deezer.com/listen-9909701

 De Rock, itou :  http://www.deezer.com/listen-4993154

et   http://www.deezer.com/listen-8918566

The four feathers, pour Volti qui en usa bien davantage (des plumes ! ) :   http://www.deezer.com/listen-2243591

 

digestion darkness.jpg

 

 

 

 

« A Théodore Tronchin

 

Lundi soir 20è mai 1765

 

Mon cher Esculape, vous êtes entouré de vos dévots et dévotes qui accourent dans votre temple d'Epidaure . Je mêle mes vœux aux leurs, mais je vous importune le moins que je peux . Je souffre sans me plaindre toutes les misères attachées à la décadence de mon âge, et à la faiblesse de ma constitution . La résignation vaut mieux que la prière .

 

Mme la duchesse d'Anville arrive . Je vous supplie de lui présenter ma lettre, et de faire valoir auprès d'elle tous les sentiments d'attachement et de respect que je lui conserverai tant que je serai en vie . Mon extrême faiblesse ne me permet pas d’aller à Genève . Si je pouvais y aller, ce serait assurément pour elle et pour vous .

 

Tachez d'avoir le temps de m'instruire en deux mots si Mme la duchesse de Châtillon vient dans votre temple . Toute ma petite famille vous encense avec moi, mon cher Esculape.

 

V.

 

J'apprends dans le moment, qu'un homme qui était chargé de deux grands ministères,1 va les quitter 2. Il restera toujours très grand seigneur . Je vous demande en grâce de me dire si vous croyez cette nouvelle . Je vous garderai le secret .

 

Il vient de m'arriver quelque chose de fort plaisant . Je vous ai écrit mon billet à plusieurs reprises . Je venais de me promener au soleil, la tête m'a tourné , j'ai été une demi-heure sans savoir ce que je faisais . Je me suis fait vomir un peu, j'avais pris de la casse le matin . Je me suis trouvé sans idée . J'ai voulu achever le dernier article de ma lettre et je n'ai pu en venir à bout . Mon pouls était fort élevé, j'avais une petite sueur, et ma vue était fort affaiblie .

 

Remarquez bien l'endroit de ma lettre que j'ai souligné ; j'avais mis deux mots qui ne signi[fi]aient rien du tout c'était Énolph, alnorph . Je voulais absolument continuer ma phrase, et je n'en pouvais venir à bout . J'ai pris le parti de me mettre dans mon lit, j'ai bu quelques gouttes d'eau fraiche . Enfin je suis revenu à moi, et j'ai été fort étonné de mon Énolph alnorph . Je l'ai fait effacer proprement, et j'ai mis quelque chose de raisonnable à la place ; mais ça n'a pas été sans peine . Cela me fait voir combien l'homme est peu de chose et que nos idées ne dépendent pas plus de nous que notre digestion . Mais il y a longtemps que j'en était convaincu .

 

Crescere sentimus pariterque senescer mentem. 3»


1 Expression soulignée dans le manuscrit, écrite sur des mots effacés ; voir fin de la lettre .

2 Le duc de Choiseul que la comtesse d'Esparbès de Lussan, qui voulait remplacer Mme de Pompadour, essaya en vain de faire disgrâcier .

3 Nous sentons bien que l'esprit croit avec le corps et partage sa vieillesse .

Les commentaires sont fermés.