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15/12/2010

Vous ne trouverez pas une femme dans Paris qui se tue pour n'être pas violée

 

Titre provocant ! Tape à l"oeil !!

J'assume ce choix, style revue people, car mon but est de faire mieux connaitre Voltaire par ses écrits, et donc titre accrocheur (c'est à vous de me le dire ! )

Par ailleurs je suis de tout coeur avec Ni pute ni soumise, et je suppose que Volti soutiendrait ce mouvement de défense des femmes .

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 Note écrite le 28 juillet 2011 pour parution le 15 décembre 2010 .

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

15è décembre 1776

 

Mon cher ange, il y a environ soixante ans passés que vous êtes occupé à me consoler et à m'encourager . Je commence à croire que ni l'Ancien 1 ni le Nouveau 2 Testament ne troubleront mes derniers jours , et qu'on a autre chose à faire à la cour que de persécuter un vieux rimailleur pour des sottises dont personne ne se soucie .

 

Je démêlerai peut-être des affaires très embrouillées et très mal conduites de notre pauvre petit pays de Gex, 3 mais je ne me tirerai pas si bien de l'entreprise dont Mme de Saint-Julien vous a donné si bonne opinion 4. Si ce n'est pas elle qui vous en a parlé, c'est l'abbé Mignot . Le commencement de l'ouvrage me donnait à moi-même de très grandes espérances, mais je ne vois sur la fin que du ridicule . J'ai bien peur qu'on ne se moque d'une femme qui se tue de peur de coucher avec le vainqueur et le meurtrier de son mari , quand elle n'aime point son mari , et qu'elle adore ce meurtrier . Cela ressemble aux vierges chrétiennes de la légende dorée qui se coupaient la langue avec leurs dents , et la jetaient au nez des païens pour n'être pas violées par eux . Il y a quelque chose de si divin dans ces catastrophes qu'elles en sont impertinentes . D'ailleurs, la pièce roulant uniquement sur le remords continuel d'aimer à la fureur le meurtrier de son mari ne pouvait comporter cinq actes . J'étais obligé de me réduire à trois, et cela me paraissait avoir l'air d'un drame de M. Mercier 5 . C'est bien dommage, car il y avait du neuf dans cette bagatelle, et les passions m'y paraissaient assez bien traitées ; il y avait quelques peintures assez vraies, mais rien ne répare le vice d'un sujet qui n'est pas dans la nature . Vous ne trouverez pas une femme dans Paris qui se tue pour n'être pas violée . Bérénice, qui est le plus mince et le plus petit sujet d'une pièce de théâtre, était beaucoup plus fécond que le mien, comme beaucoup plus naturel ; cela me fâche et m'humilie . Un père n'est pas bien aise de se voir obligé de tordre le cou à son enfant . Voilà trois mois entiers de perdu, et le temps est cher à mon âge .

 

Je reçois dans ce moment une lettre de M. de Thibouville, il augmente mes regrets . Il me dit surtout des choses si intéressantes sur Mlle Saint-Val, que je suis homme à mourir de chagrin de n'avoir pu rien faire qui soit digne d'elle .

 

Je suis de votre avis sur Rodogune . Il n'y a pas de sens commun dans toute cette pièce qu'on a regardée comme le chef-d’œuvre de Corneille . La dernière scène même qui semble demander grâce pour le reste n'est nullement vraisemblable, mais il y a tant d'illusion théâtrale d'un bout à l'autre que le public a été séduit . Nous n'avons point une pareille ressource dans une petite pièce qui ne consiste qu'à dire : J'aime mon amant comme une folle, mais je suis dévote, et j'aime mieux me tuer que de coucher avec lui .

 

M. de Thibouville m'apprend qu'on va jouer Oreste 6 et qu'elle sera très bien remise au théâtre . Je crois qu'elle réussirait mieux si nous étions en Grèce, mais j'ai peur que des déclamations grecques ne réussissent point à Paris .

 

Je me mets à l'ombre de vos ailes, mon très cher ange .

V. »

 

1 Allusion aux Lettres de quelques juifs … à M. de Voltaire, de l'abbé Guénée ; voir lettre du 8 décembre à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/09/a-tetes-chaudes-marrons-chauds.html

L'oeuvre fut bien accepté tant par ses détracteurs (Voltaire, D'Alembert) que le public. L'auteur y fait montre d'une argumentation nourrie et érudite, ce que Voltaire applaudit lui-même. Les Lettres ne sont pas une défense de l'Eglise, mais de la religion ; l'abbée Guenée établit un dialogue avec Voltaire ; http://biblioweb.hypotheses.org/2689

2 L’Église .

3 Voir lettre à Mme de Saint-Julien du 5 décembre :

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/06/g...

4 Irène .

5 Louis-Sébastien Mercier, qui écrivit entre autres ,

La Brouette du vinaigrier, 1755, drame en 3 actes : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k108522c/f1.image

ainsi que Chilpéric premier, 1774 : http://books.google.com/books?id=H2sGAAAAQAAJ&printse...

Le faux ami, 1772 : http://www.youscribe.com/BookReader/EmbedPreview/303105?w...

Jean Hennuyer, 1772 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k108519p

Le Juge, 1774 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k108525h/f3.image.r=...

6 Pièce jouée à Paris les 17 et 22 décembre, et le 19 décembre à Versailles .

 

 

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