08/02/2012
quelques corsaires de la littérature annoncent avoir votre ouvrage....Sont-ils faits pour résister à la tentation de mille louis?
http://www.youtube.com/watch?v=dnKkGRLISQ4&feature=related
Les joies de l'hiver !
Petit matin bleu, comme mes doigts, mes oreilles, et mon nez que je ne vous montrerai pas !
« De M. Claude-Etienne DARGET i.
[juillet 1755]
J'étais à courir le monde, mon ancien ami, quand les deux lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 11 et le 13 du mois dernier, sont arrivées ici. Elles m'ont suivi à Vésel, où j'ai été me mettre aux pieds de mon ancien maitreii, qui m'a reçu avec une bonté qui mérite à jamais mon attachement et ma reconnaissance; et ce n'est que dans ce moment enfin que je les reçois ici. J'y réponds aussi dans le moment, et je désirerais bien sincèrement que mon exactitude pût contribuer à votre tranquillité; j'entre dans vos peines, et je les partage. Vous auriez peut-être eu moins besoin de consolation si j'avais été toujours à portée d'être votre consolateur. Vous êtes un des grands hommes que je connaisse qui aient le plus de besoin de n'être entouré que d'honnêtes gens. Je n'ai été touché des injures qu'a débitées La Beaumelle que parce qu'il les mettait dans votre boucheiii, et que mon cœur souffrait à avoir des motifs de se refermer pour vous. Je suis enchanté et tranquillisé par les choses obligeantes que vous me dites à cet égard, et je vous en remercie comme d'un bienfait. Ce qui contribue à la paix de l'âme ne peut pas être d'un prix médiocre pour les âmes sensibles. Je suis très-sincèrement touché de l'inquiétude où vous êtes sur le sort de votre Pucelle. Vous n'avez point en mon amitié la confiance que j'ose me flatter d'avoir méritée, vos terreurs ne tomberaient pas sur le manuscrit qui est entre les mains de mon beau-frère. Je ne nie pas que l'on ait su qu'il existait, et c'est ma faute. Sans moi, sans l'envie que j'ai eue de satisfaire la plus juste curiosité du peu de gens de goût que je vous ai nommés, et de les confirmer, par la lecture de cet ouvrage, dans leur admiration pour vous, personne n'aurait entendu parler de ce manuscrit; on ignorerait son existence. Il n'a point été copié ici, ni en France, ni ailleura vous y pouvez compter. Il n'a point été vu, il a toujours été enfermé dans une cassette comme un bijou aussi précieux qu'il l'est en effet; et je vous jure sur mon honneur que je n'ai entendu parler du nommé Grasset que par vous, et que ce n'est pas de cet exemplaire que M. le duc de La Vallière a été le maître de donner mille écus. Mon beau-frère est parti, monsieur, pendant mon voyage, il y a aujourd'hui quinze jours. Il a remporté votre trésor, qu'il a conservé et gardé ici avec tant de soin qu'il m'a refusé de me le confier pour une soirée où je voulais le lire à une femme de mes amies, qui par son esprit méritait bien de l'entendre, mais où il ne pouvait pas être en tiers. Je n'ai point murmuré de sa méfiance, je lui en avais fait une loi à son arrivée. Soyez donc bien persuadé, mon ancien ami, que si ce Grasset a un exemplaire à vendre, ce n'est ni celui-là, ni copie de celui-là. La vérité même n'est pas plus vraie que ce que je vous avance ici, et je m'en établis la caution et le garant, vis-à-vis de vous et vis-à-vis de tout le monde. Je n'ai d'autre bien que ma réputation et ma probité, et vous pouvez compter que je ne les exposerais pas témérairement si j'avais le plus petit doute. J'aurai l'honneur de voir M. d'Argental à ce sujet. Cette malheureuse affaire me devient personnelle, puisque c'est mon zèle indiscret pour quelques amis qui a commis le secret que mon beau-frère s'était imposé sur la possession de ce trésor. Que parle-t-on de mille écus pour ce manuscrit? Un libraire de Hollande en a, je le sais, offert mille louis; mais ce ne serait pas avec tout l'or des Incas qu'on le retirerait des mains dans lesquelles je sais qu'il existe; et encore une fois, monsieur, ce n'est pas des dépôts que vous avez faits de ce côté-là que vous devez avoir de l'inquiétude.
Vous êtes le maître d'écrire au prince Henri, il ne fera que vous confirmer ce que je vous certifie. Il connalt mon beau-frère, et en répondra avec la même assurance que j'en réponds moi-même. Mais pourquoi asseoir vos soupçons uniquement sur ce manuscrit . Ne savez-vous pas qu'il en existe d'autres en d'autres lieux, où l'on en connalt peut-être bien moins le prix et l'importance? Le seul conseil que je puisse vous donner, mon cher ami, est d'être bien certain que ce n'est pas de ce côté-là que vous éprouverez jamais le plus petit sujet de chagrin. Soyez également tranquille sur ce que quelques corsaires de la littérature annoncent avoir votre ouvrage. Il n'est pas public; ils vous en imposent. Sont-ils faits pour résister à la tentation de mille louis?
Ma situation est plus tranquille que brillante. Je vis au milieu de ma patrie. J'ai quelques amis et une amie; et je ne formerais plus de désirs si mon fils ne me faisait pas une nécessité des soins que je dois me donner pour augmenter un peu ma fortuue. Mes protecteurs me le font espérer, et je tâcherai de les seconder par ma conduite. Je viens de lire votre Épître au lac de Genève. Vous êtes toujours vous-méme, puissiez-vous l'être longtemps ! Je vous embrasse de tout mon cœur, monsieur, et je ferai vos commissions auprès de M. de Croismare et de M. Duverney, qui y seront très- sensibles. »
i Cette lettre sans date est sans doute de la mi-juillet .
Elle répond aux lettres du 11 juin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/02/05/ce-poeme-et-la-vie-de-l-auteur-et-tout-au-monde-sont-bien-pe.html
et du 13 juin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/02/08/vous-etes-au-fait-je-vous-prie-de-m-y-mettre.html
ii Frédéric II dont il a été le lecteur et secrétaire particulier .C'est à cette époque qu'il fit la connaissance de V* et que commença leur amitié .
iii Voir note 2 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/01/19/je-suis-enchante-d-avoir-recu-des-marques-de-votre-souvenir.html
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