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15/02/2012

je ne sais pas trop comment je peux suffire à toutes les sottises que j'ai entreprises

 

 

 

 

« A madame de FONTAINE,

à Paris.

Aux Délices, 2 juillet [1755]

Je vous écris, ma très-chère nièce, en faisant clouer au chevet de mon lit votre portrait et celui de votre fils. En vérité, voilà trois chefs-d'œuvre de votre façon qui me sont bien chers, vous, le petit d'Hornoy 1, et son pastel. Vous ne pouviez faire ni un plus joli enfant ni un plus joli portrait. Le vôtre est parfaitement ressemblant. Vous êtes un excellent peintre 2, et vous me consolez bien du portrait détestable que nous avions de vous. Je vous remercie bien tendrement de tous vos beaux ouvrages. Quand viendrez-vous donc voir les lieux que vous avez déjà embellis? Dieu merci, les vaches vous sont plus favorables que les ânesses 3. Pour moi, j'ai un âne qui me fait bien de la peine 4; car mon âne tient un grand rang dans l'ouvrage que vous savez, et on lui a fait de terribles oreilles dans les maudites copies qui courent. Je vous enverrai certainement la véritable leçon, et vous en ferez tout ce qu'il vous plaira. Je vous enverrai aussi notre Orphelin de la Chine5. Mais, en vérité, nous n'avons guère le temps de nous reconnaître, et je ne sais pas trop comment je peux suffire à toutes les sottises que j'ai entreprises. Il s'en faut bien que j'aie la santé que M. Tronchin6 me donne si libéralement. Il s'imagine que quiconque a eu le bonheur de le voir et de lui parler doit se bien porter, il est comme les magiciens, qui croyaient guérir avec des paroles. Il a raison, car personne ne parle mieux que lui, et n'a plus d'esprit; mais je ne m'en porte pas mieux.
A propos, Thieriot a douze chants de ce que vous savez, demandez-les-lui sur-le-champ. Faites-les copier; cela vous amusera, vous et votre frère7, quand il sera las de lire son bréviaire et de rapporter des procès. Je voudrais bien que mon abbaye fût aussi sur les bords de la Seine8; mais j'ai bien l'air d'avoir planté le piquet pour jamais sur les bords du lac de Genève. Les malades ne se transportent guère, à moins que ce ne soit aux eaux de Plombières, lorsque vous irez 9. »

1 Alexandre-Marie-François-de-Paule de Dompierre d'Hornoy, né à Abbeville le 23 juillet 1742, conseiller au parlement en 1763, président en 1780; mort en janvier 1828. La terre d'Hornoy est à huit lieues d'Amiens. Son frère ainé est mort en bas age .

3 Elle est en mauvaise santé, et a pris du lait d'ânesse sans succès ; voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/02/11/je-ne-serai-que-damne-cela-est-injuste-car-je-le-suis-un-peu.html

4 Le fameux chant de l'âne de La Pucelle dont des versions scabreuses circulent : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-chant-vingtieme-86569397.html

7 L'abbé Mignot qui est aussi conseiller au Parlement .

8 L'abbaye de Scellières, dont l'abbé Mignot a obtenu le bénéfice, et où Voltaire fut inhumé en 1778, était située dans la commune de Romilly-sur-Seine.

9 Les deux alinéas qui, dans Beuchot, sont à la fin de cette lettre forment une lettre à part. Voyez au 23 août 1755

 

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