Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/12/2012

Je me borne à lui dire cette vérité sans la gâter par aucune idée de politique

... Ce qui confirme l'idée que politique et vérité ne peuvent pas coexister, ou sinon, seulement comme les droites parallèles  qui ne se rencontrent qu'à l'infini (pour les optimistes) et jamais (pour les réalistes) .

 Politiquement correct ?

illusion_optique_fausses_paralleles.jpg

 

 

« A Frédéric II roi de Prusse 1

[vers le 25 septembre 1757]

Ne vous effrayez pas d'une lettre qui peut-être sera longue, qui est la seule chose qui puisse vous effrayer .

Ayez la bonté d'abord de pardonner les libertés d'un homme qui ne se souvient que de vos bontés , qui vous a appartenu et dont le cœur vous appartiendra toujours .

J'ignore encore dans ma paisible retraite si votre Majesté a été à la rencontre du corps d'armée de M. de Soubise et si elle s'est signalée par de nouveaux succès , je suis peu au fait de la situation des affaires , je vois seulement qu'avec la valeur de Charles XII et avec un esprit bien supérieur au sien vous avez plus d'ennemis à combattre qu'il n'en eut en revenant à Stalsund, mais ce qui est bien sûr, c'est que vous aurez plus de réputation que lui dans la postérité parce que vous avez remporté autant de victoires sur des troupes beaucoup plus aguerries et parce que vous avez fait à vos sujets tous les biens qu'il n'a pas faits, en ranimant les arts, en établissant des colonies, en peuplant , en embellissant des villes . Je ne parle pas des talents aussi supérieurs que rares qui auraient suffi à vous immortaliser, vos plus grands ennemis ne peuvent vous ôter aucun de ces mérites . Votre gloire est donc absolument hors d'atteinte comme je crois l'avoir déjà mandé à votre Majesté , il s'agit à présent de votre bonheur . Je ne parlerai pas aujourd'hui des treize cantons . Je m'étais livré au plaisir de dire à votre Majesté combien elle est aimée dans le pays où j'achève ma vie . Mais je suis très instruit qu'en France elle a beaucoup de partisans . Je me borne à lui dire cette vérité sans la gâter par aucune idée de politique . Je ne prends pas cette liberté mais qu'il me soit permis d'imaginer que si la fortune vous devenait entièrement contraire vous pourriez encore vous rendre le maître de cette fortune, que la France ne voudrait pas perdre une balance longtemps établie par vos victoires, que vos lumières et votre esprit se ménageraient une alliance utile peut-être au bien de l'Europe ; qu'au pis aller il vous resterait toujours assez d’États pour maintenir votre considération personnelle , et que le Grand Électeur votre bisaïeul n'en a pas été moins respecté pour avoir sacrifié quelques unes de ses conquêtes . Daignez me permettre ces idées quoi qu'elles soient au dessous de la grandeur de votre âme .

Les Catons et les Ottons dont votre Majesté trouve la mort belle, n'avaient guère autre chose à faire qu'à servir ou à mourir . Encore Otton n'était-il pas sûr qu'on l'eut laissé vivre . Votre Majesté ne sera jamais dans ce cas et peut-être au moment que j'écris est-elle victorieuse . Mais quand elle ne serait pas, sa vie n'en serait pas moins nécessaire . Vous savez combien elle est chère à une nombreuse famille et à tous ceux qui la servent . Vous savez que les affaires de l’Europe ne sont jamais longtemps dans une même assiette et vous ne pouvez nier qu'un homme tel que vous ne doive se réserver aux évènements .

J'ose encore Sire vous dire plus . Si la fortune vous abandonnait entièrement , si votre courage dans ces circonstances malheureuse que je ne veux pas prévoir, s'emportait à une extrémité héroïque, honorée dans les siècles passés, cette résolution ne serait pas approuvée aujourd'hui . Vos partisans la condamneraient et vos ennemis en triompheraient . Songez encore aux outrages que la nation fanatique des bigots ferait à votre mémoire . Voilà tout le prix que votre nom recueillerait d'une mort volontaire, et en vérité il ne faudrait pas donner aux lâches ennemis du genre humain le plaisir d'insulter à un nom couvert de gloire .

Ne vous offensez pas de la liberté d'un vieillard qui a toujours révéré et chéri votre personne . Mais heureusement nous sommes très loin de la voir réduite à des extrémités si funestes, et j'attends tout de votre courage et de votre esprit , hors le parti désespéré que ce courage pourrait faire craindre . Je me flatte au contraire que vous acquerrez les armes à la main une paix honorable .

Ce sera une consolation pour moi en quittant la vie de laisser sur la terre un roi philosophe qui a daigné m'aimer . »

1 Ceci est une réponse à une lettre de Frédéric II du 9 septembre 1757 qui dit : « Le duc de Richelieu prend le train de traiter le duc de Cumberland dans le pays de Bremen comme autrefois Steimbok fut traité dans le voisinage » . La lettre de V* est écrite avant qu'il sache que Frédéric avait pour un temps renoncé à l'idée de livrer bataille contre Soubise car ses forces sont actuellement réduites à 13000 hommes contre 56000 aux alliés .

 

Les commentaires sont fermés.