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12/02/2013

Nous autres drôles de Français, nous sommes plus expéditifs; notre affaire est faite en cinq minutes

  • ... - Euh !  faites excuse, m'sieur ! Parlez pour vous !

J'ose espérer que je ne suis pas aussi expéditif en "affaire" . On me l'aurait dit, non ?

  • ... ?!!
  • Ah ! vous vouliez parler de guerre, de batailles, de retraites expéditives ? Bon , j'en prends bonne note , je ne joue pas sur ce terrain là, mon service actif les armes à la main a atteint sa date de péremption , heureusement . Il est d'autres plaisirs plus estimables sur cette terre comme l'amour , pour n'en citer qu'un . Je vous laisse croire que les guerres sont justes et ne prennent qu'un instant dès lors que ce sont des Français qui les mènent . Portez-vous bien et regardez des deux côtés avant de traverser !

Tout feu tout flamme

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« A M. Jean Le Rond d'ALEMBERT.

Aux Délices, 6 décembre [1757].

Je reçois, mon très-cher et très-utile philosophe, votre lettre du 1er de décembre. Je ne sais si je vous ai assez remercié de l'excellent ouvrage 1 dont vous avez honoré la mémoire de Dumarsais, qui sans vous n'aurait point laissé de mémoire, mais je sais que je ne pourrai jamais vous remercier assez de m'avoir appuyé de votre éloquence et de vos raisons, comme on dit que vous l'avez fait à propos du meurtre infâme de Servet, et de la vertu de la tolérance, dans l'article Genève. J'attends ce volume avec impatience. Des misérables ont été assez du sixième siècle pour oser, dans celui-ci, justifier l'assassinat de Servet, ces misérables sont des prêtres 2. Je vous jure que je n'ai rien lu de ce qu'ils ont écrit; je me suis contenté de savoir qu'ils étaient l'opprobre de tous les honnêtes gens. L'un de ces coquins a demandé au conseil des Vingt-Cinq de Genève communication de ce procès qui rendra Calvin à jamais exécrable; le conseil a regardé cette demande comme un outrage. Des magistrats détestent le crime auquel le fanatisme entraîna leurs pères, et des prêtres veulent canoniser ce crime ! Vous pouvez compter que ce dernier trait les rend aussi odieux qu'ils doivent l'être. J'en ai reçu des compliments de tous les honnêtes gens du pays.
Quel est donc cet autre jeune prêtre qui veut vous faire passer pour usurier 3 ? Est-ce que vous auriez emprunté à usure à la bataille de Kollin 4, lorsque votre Prussien paraissait devoir mal payer les pensions? Mais vous m'avouerez qu'à la bataille du 5 5 tout le monde dut vous avancer de l'argent. Voici un nouveau rabat-joie pour les pensions, arrivé le 22 devant Breslau 6. Les Autrichiens nous vengent et nous humilient terriblement. Ils ont fait à la fois treize attaques aux retranchements prussiens, et ces attaques ont duré six heures; jamais victoire n'a été plus sanglante et plus horriblement belle. Nous autres drôles de Français, nous sommes plus expéditifs; notre affaire est faite en cinq minutes.
Le roi de Prusse m'écrit toujours des vers, tantôt en désespéré, tantôt en héros; et moi, je tâche d'être philosophe dans mon ermitage. Il a obtenu ce qu'il a toujours désiré, de battre les Français, de leur plaire, et de se moquer d'eux, mais les Autrichiens se moquent sérieusement de lui. Notre honte du 5 lui a donné de la gloire, mais il faudra qu'il se contente de cette gloire passagère trop aisément achetée. Il perdra ses États avec ceux qu'il a pris, à moins que les Français ne trouvent encore le secret de perdre toutes leurs armées, comme ils firent dans la guerre de 1741.
Vous me parlez d'écrire son histoire, c'est un soin dont il ne chargera personne; il prend ce soin lui-même. Oui, vous avez raison, c'est un homme rare. Je reviens à vous, homme aussi célèbre dans votre espèce que lui dans la sienne j'ignorais absolument la sottise dont vous me parlez, je vais m'en informer, et vous me ferez lire le Mercure 7.
Je fais comme Caton, je finis toujours ma harangue en disant Deleatur Carthago 8. Comptez qu'il y a des traits dans l'Éloge de Dumarsais qui font un grand bien. Il ne faut que cinq ou six philosophes qui s'entendent pour renverser le colosse. Il ne s'agit pas d'empêcher nos laquais d'aller à la messe ou au prêche; il s'agit d'arracher les pères de famille à la tyrannie des imposteurs, et d'inspirer l'esprit de tolérance. Cette grande mission a déjà d'heureux succès. La vigne de la vérité est bien cultivée par des d'Alembert, des Diderot, des Bolingbroke, des Hume, etc. Si votre roi de Prusse avait voulu se borner à ce saint œuvre, il eût vécu heureux, et toutes les académies de l'Europe l'auraient béni. La vérité gagne, au point que j'ai vu, dans ma retraite, des Espagnols et des Portugais détester l'Inquisition comme des Français.
Macte animo, generose puer; sic itur ad astra. 9
Autrefois on aurait dit Sic itur ad ignem. 10
Je suis fâché des simagrées de Dumarsais à sa mort.11 On a imprimé que ce provincial Deslandes, qui a écrit d'un style si provincial l'Histoire critique de la philosophie, avait recommandé, en mourant , qu'on brûlât son livre Des grands hommes morts en plaisantant. Et qui diable savait qu'il eût fait ce livre?12 Mme Denis vous fait mille compliments. Le bavard vous embrasse de tout son cœur. Voyez-vous quelquefois l'aveugle clairvoyante 13? Si vous la voyez, dites-lui que je lui suis toujours très-attaché. »

2 Jacob Vernet était du nombre de ces prêtres. (Clogenson.

3 Dans le Choix littéraire, (1755-60, vingt-quatre volumes in-8-), dont Vernes était l'éditeur, à l'occasion de l'article ARRÉRAGES (de l'Encyclopédie), on accusait d'Alembert de favoriser l'usure ..Vernes portait son accusation injustifiée dans une « Lettre sur la dissertation suivante [Sur l'amour de l'estime] » .Voyez la lettre de d'Alembert dans le Mercure de décembre 1757, page 97. (Beuchot.)

4 La bataille de Kollin, à la suite de laquelle le roi de Prusse, battu par le maréchal Daun, et poursuivi par le prince Charles de Lorraine, recula sur la montagne des Géants, après avoir levé le siège de Prague, essaya vainement de défendre les défilés pour garder ses communications avec la Saxe et la Silésie, et fit sa retraite sur Bautzen et Gôrlitz .

5 La bataille de Rosbach, gagnée par Frédéric, le 5 novembre, sur les armées impériale et française.

6 Les Prussiens y avaient été battus, et s'étaient retirés; la ville se rendit le 24 aux Autrichiens.

7 On y avait imprimé la lettre du 26 mars 1757 à Thieriot : voir page 194 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f197.image

8 Il faut détruire Carthage . Ici on peut voir en Carthage la superstition ou la religion . On sent venir l'Ecrasons l'infâme .

9 Virgile, Énéide, IX, 641 : courage généreux enfant, c'est ainsi qu'on va jusqu'aux astres .

10 C'est ainsi qu'on va au bucher .

11 Dans la biographie de Du Marsais dans l'Encyclopédie on lit : « Il tomba malade au mois de juin de l'année dernière . Il s'aperçut bientôt du danger où il était et demanda les sacrements, qu'il reçut avec beaucoup de présence d'esprit et de tranquillité : il vit approcher la mort en sage qui avait appris de ne la point craindre .»

12 André-François Boureau Deslandes, né à Pondichéry en 1690, mort à Paris le 11 avril 1757 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9-Fran%C3%A7ois_Boureau-Deslandes

Il avait publié tous ses livres anonymement , comme son Histoire critique de la philosophie par M. D***, et le livre qui a pour titre Réflexions sur les grands hommes qui sont morts en plaisantant, par M. D***.

13 Mme du Deffand .

 

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