28/03/2014
Plus il est occupé des affaires de l'État, plus je sens ce que je dois à l'attention dont il honore l'affaire d'un particulier
... Aurait pu dire ce cher Nanard, roi du bagou et des bonnes affaires . Ah ! qu'il est doux d'être riche, s'offrir de bons avocats et d'avoir des relations haut placées .
Tout le monde ne peut en dire autant , dans quatre jours recommencent les expulsions , dans quatre jours des milliers de gens vont se retrouver à la rue , ça m'indigne toujours . Ceux qui s'occupent des affaires de l'Etat n'en ont rien à cirer, ils attendent le remaniement ministériel qui va toucher leurs petites personnes, leurs petits conforts de bourgeois nantis .
« A Elie BERTRAND.
A Tournay, par Genève, 20 février [1759]. 1
Mon amitié est enchantée de tous les témoignages de la vôtre ; je les sens, mon cher ami, du fond de mon cœur. Le plus grand service que vous me puissiez rendre est d'entretenir souvent M. le banneret de Freudenreich de ma tendre reconnaissance.
Il daigne entrer avec moi dans des détails qui me font voir à quel point je lui ai obligation. Plus il est occupé des affaires de l'État, plus je sens ce que je dois à l'attention dont il honore l'affaire d'un particulier. Je lui avoue que feu le ministre Saurin a mérité la corde; mais son fils 2, mon ami, le plus honnête homme du monde, avocat estimé, homme de lettres considéré, secrétaire de monseigneur le prince de Conti , mais ses sœurs et leurs enfants, enveloppés dans cet opprobre, ne méritent-ils pas un peu de pitié ? Saurin, le fils infortuné d'un homme qui fit une grande faute, m'écrit des lettres qu'il trempe de ses larmes, et qui vous en feraient verser. Je suis persuadé que son état toucherait les seigneurs curateurs. D'ailleurs plusieurs personnes sont outragées dans ce libelle ; j'y suis traité en vingt endroits de déiste et d'athée. Les pièces qu'on m'y impute sont supposées. Le libelle est anonyme, sans nom de ville, sans date. Il est imprimé furtivement malgré les lois. Une balle que Grasset avait envoyée à Genève y a été saisie par ordre du magistrat ; on en a usé de même à Lyon, et le lieutenant civil de Paris a averti le nommé Tilliard, correspondant de Grasset, qu'il serait puni s'il en recevait, et s'il en débitait un seul exemplaire. Ce concert unanime de tant de magistrats pour supprimer un libelle diffamatoire ne me laisse pas douter que je n'aie la même obligation aux seigneurs curateurs ; et de toutes les bontés dont on m'honore en tant d'endroits, les leurs me seront les plus sensibles. D'Arnay joue un bien indigne rôle dans cette affaire. Comment s'est-il associé avec un laquais des Cramer, décrété de prise de corps, à Genève, pour avoir volé ses maîtres ?
Tout ceci n'est qu'une tracasserie infâme ; mais que dire des jésuites ! Ils assassinent le roi qu'ils ont confessé ; ils font servir tous les mystères de la religion au plus grand des crimes. Nous verrons quelles suites aura cette étrange aventure. Je vous remercie et vous embrasse tendrement.
V.
1 Date portée par Bertrand sur le manuscrit .
2Bernard-Joseph Saurin , connu comme auteur dramatique . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard-Joseph_Saurin
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