27/03/2014
Quand on a résolu de finir ses jours à la campagne, il ne faut pas se mettre dans la nécessité d'envoyer tous les jours chercher du poivre et de la cannelle à la ville
... Et si on aime les campagnes électorales, il ne faut pas demander de pimenter le scrutin dans les villes de plus de X milliers d'habitants en flirtant avec des idées d'extrêmistes .
« A Jean-Robert Tronchin
Aux Délices 17 février 1759
J'étais si honteux des détails de mes petits besoins, mon cher monsieur, qu'en vérité je n'osais vous envoyer cette liste sans votre permission . Quand on a résolu de finir ses jours à la campagne, il ne faut pas se mettre dans la nécessité d'envoyer tous les jours chercher du poivre et de la cannelle à la ville . J'aime les provisions . Horace dit qu'il en faut pour deux ans 1 . D'ailleurs j'ai vos treillages à peindre .
Je frémis des dépenses de cette année mais aussi quand j'aurai de beaux blés je serai grand seigneur . Je ne mériterai pas avec ma nouvelle charrue la gloire que monsieur votre frère acquiert par le zèle et les lumières qu'il emploie dans cette étonnante affaire du fameux vol de Genève 2. Mais je tiens que c'est un très beau métier de cultiver la terre . Je voudrais qu'il y eût à Lisbonne des juges aussi éclairés que monsieur votre frère et qui tirassent au clair l'aventure des jésuites . Il est tout simple qu'ils aient encouragé un assassinat et qu'ils aient prié Dieu pour le succès de cette sainte action . Mais qu'on les ait portés en prison dans des coffres comme des ballots de linge cela me parait suspect , et me fait trembler pour la vérité de ce qu'on leur impute . Si vous avez quelque nouvelle, faites-m'en part je vous en prie ; si vous n'en avez pas demandez-en à vos correspondants avec votre prudence ordinaire .
Avouez que le roi de Prusse a le diable au corps de m'envoyer deux cents vers de sa façon dans le temps qu'il se prépare à faire marcher deux cent mille hommes . On dit que nous n'avons plus de nègres pour travailler à nos sucreries . J'ai bien fait de me pourvoir . Si les annuités étaient approchant du pair dans quelque temps ne ferais-je pas bien de vendre les miennes ? Voilà encore 14000 livres ou environ en lettres sur vous pour le prêtre Deodati . Je ris de transiger avec des prêtres et d'avoir le théologien Vernet pour mon vassal à Tournay . C'est un tour d'espiègle que je lui ai joué .
Je vous embrasse du meilleur de mon cœur .
V. »
1 En réalité Horace se satisfait d'avoir une année de provisions ; voir Epîtres, I,xviii,109-110 : « quels sont, penses-tu, ô mon ami, mes sentiments, quels sont mes vœux ? D’avoir ce que j'ai, et moins encore ; de vivre pour moi ce qui me reste à vivre, si les dieux me réservent d'autres jours ; d'être assuré pour une année de ma provision de livres et de blé, de ne point laisser flotter mes espérances au gré d'un douteux avenir. Mais ne demandons à Jupiter que ce qu'il donne, ce qu’il retire, la vie, le bien ; pour la paix de l’âme, c'est à nous de nous le procurer. » ; http://www.espace-horace.org/trad/patin/epitres1.htm#xviii
2 Voir lettre du 31 décembre 1758 à François Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/19/j-apprends-que-m-tronchin-est-bien-empeche-avec-les-voleurs-5275932.html
23:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.