03/02/2015
aujourd'hui je ne suis plus que citoyen d'un pays malheureux que j'ai pris en affection
... Et ce pays est le monde !
Je déteste les frontières , tirets sur des cartes, barrières entre les humains .
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'ÉPINAY
Aux Délices, 30 janvier [1760]
Ce n'est point à ma chère et respectable philosophe que j'écris aujourd'hui, c'est à la femme d'un fermier général 1. Nous la supplions, Mme Denis et moi, de vouloir bien recommander le Mémoire ci-joint 2. Nous nous flattons d'obtenir au moins quelque satisfaction.
Nous souhaiterions que MM. les fermiers généraux eussent la bonté de nous faire communiquer le tarif des droits qu'on doit payer pour ce qu'on fait venir de Genève au pays de Gex, avec injonction aux commis de ne point molester nos équipages, et de laisser passer librement nos effets de Tournay, territoire de France, à Ferney, territoire aussi de France. Quant au nommé de Crose 3, préposé par intérim au bureau de Saconnex frontière, il ne paraît aucunement propre à cet emploi. La plupart des gardes sont des déserteurs ou gens de très-mauvaise conduite, qui font continuellement la contrebande. Ils ont dévasté nos forêts, et c'est là la véritable source de leurs vexations.
Il paraît convenable que messieurs les fermiers généraux changent cette brigade. Presque tous mes gens de campagne sont des Suisses qu'il serait impossible de retenir. Ils prendront infailliblement
querelle avec la brigade de Saconnex, et je crains de très-grands malheurs.
Ma chère philosophe, je vous supplie instamment d'engager M. d'Epinay à faire rendre ce service important à la province et à nous .
Il y a sans doute un plus important service à rendre, c'est de s’accommoder avec la province pour le sel et tous les autres menus droits .
Une compagnie offre de donner aux fermes générales environ cent mille écus . Il est constant que les fermes du roi ne tirent pas 2600 livres par ans tous frais faits, du pays de Gex . Ils ont 80 commis qui absorbent tout le profit . Ces commis supprimés il reste tous les bureaux sur le chemin de Lyon, de Franche-Comté et Bourgogne, dans des postes inaccessibles qu'on peut renforcer encore . Ce qu'on propose est le bien des fermes du roi encore plus que de la province .
Si M. d'Epinay veut se charger de venir traiter avec nous, il sera reçu comme un libérateur . Voilà ce que nous espérons de plus consolant , madame, en cas que vous vouliez bien être du voyage . Vous viendriez répandre les bienfaits comme vous êtes accoutumée à y répandre des agréments . Vous reverrez un pays où vous êtes adorée, tout notre bonheur viendra de vous .
Une autre fois je vous parlerai d'encyclopédie, mais aujourd'hui je ne suis plus que citoyen d'un pays malheureux que j'ai pris en affection et pour lequel je vous demande vos bontés .
V. »
1 La Live d'Epinay : voir : http://archive.org/stream/lesprodigalits00comp/lesprodigalits00comp_djvu.txt
2 Voir lettre du 26 janvier 1760 à JR Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/01/31/la-chose-presse-et-elle-indigne.html
3 Je ne sais si c'est le même personnage qui est appelé Rose dans la Requête Au Roi, de novembre 1776 (voyez les Mélanges), et dans les lettres à Mme de Saint- Julien, du 5 décembre 1776 ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/06/grain-de-sel-dans-les-rouages-a-ferney.html
) , et à M. de Trudaine, du 10 du même mois. (Beuchot.)
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