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09/03/2015

sur quoi donc me fait-on accroire que j'ai le beau droit de payer les sottises qu'on fait en cette partie du monde

... Comme celle-ci :

 sottise fonctionnaires.jpg

 

 

« A Charles de BROSSES, baron de Montfalcon
10 mars 1760, à Tournay.
Monsieur Jalabert 1, monsieur, m'a donné les Fétiches ; je l'avais déjà des mains des Cramer, mais alors je n'en soupçonnais pas l'auteur 2. J'ignore quel est cet honnête homme. mais il a raison, quel qu'il soit. Tout est fétiches, jusqu'à du pain. Les uns les prennent dans leur jardin, les autres au four.
Je crois que mon fétiche, à présent, est M. Tronchin, car je n'en peux plus.
Je suis pourtant toujours occupé des choses terrestres ; je ne saurais digérer la pancarte par laquelle on m'ordonne incivilement de payer, sous peine de saisie, environ 600 livres tournois pour un Suisse dont je ne donnerais pas deux écus. Je ne conçois pas pourquoi on veut toujours que je sois le haut-justicier malgré lui. Il me semble que la Perrière ne produit ni honneur ni profit. Il y a quatre mois que je cherche un exemple de jugement rendu en ce lieu au nom du haut-justicier, et je n'en vois
point. Il n'est point question dans vos aveux et dénombrement de justice étendue jusqu'à la Perrière; sur quoi donc me fait-on accroire que j'ai le beau droit de payer les sottises qu'on fait en cette partie du monde, et les noix qu'on y vole ? Sur un bruit vague, lequel, jusqu'ici, n'a pas le plus léger fondement.
Si vous le pouvez, monsieur, transeat a me calix iste !3 Cependant que votre volonté soit faite. J'ai écrit au procureur que vous avez eu la bonté, monsieur, de m'indiquer ; je crois mes raisons bonnes, et crois avec cela que je perdrai ma cause si vous ne prenez mon parti. Or je maintiens qu'un brave antifétichier comme vous doit prendre le parti d'un petit antifétichier comme moi; je trouve que les antifétichiers devraient être unis, comme l'étaient autrefois les initiés ; mais ils se mangent les uns les autres, témoin l'antifétichier de Berlin qui m'a joué d'un tour.
Je crois avoir eu l'honneur de vous mander que j'avais écrit à monseigneur le comte de La Marche, et que je l'ai supplié de fixer une somme modique et honnête pour les lods et ventes de Tournay, afin que je n'eusse pas à essuyer les très-désagréables discussions que j'essuie encore pour les lods et ventes de Ferney.
Vous m'avez promis encore, monsieur, que vous auriez la bonté de me faire part des aveux et dénombrement, et de l'érection de la terre.
Hoc erat in votis : modus agri non ita magnus,4 etc.
Le modus agri devient magnus, mais le revenu est parvus.5
Le 3e vingtième est donc arrangé?6 Il faut bien se ruiner pour se défendre, puisque les Anglais se ruinent pour nous écraser.
Je crois que monsieur l'intendant de Bourgogne aura bien de la peine avec les fermiers généraux, et peut-être l'unique parti qui restera pour ce pauvre pays de Gex sera de donner de l'argent comptant au roi, et de contraindre les fermiers généraux à déguerpir.

Mille respects.

V. »

1 Savant physicien de Genève, fort lié avec le président de Brosses. Voir : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0048-7996_1953_num_6_3_3057

3Que ce calice s'éloigne de moi ; évangile de Matthieu, XXIV, 39 .

4 Voici en quoi consistent mes vœux : un domaine d'une taille pas trop grande ; Horace, Satires, II,vi,I .

5 La taille du domaine devient grande, mais le revenu est petit .

 

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